Au théatre avec Gouro Bocoum

Une matinée d’été dans une cour d’école primaire. Un petit homme d’une soixantaine d’année nous accueille. Il a les yeux clairs, les pommettes saillantes et le nez effilé. Gouro est un peul du nord qui a choisit le sud pour exprimer son talent et ses idées pour le plus grand bonheur des acteurs locaux, qui découvrent en lui autant de grandeur qu’il n’est petit.




Quand l’idée de cette troupe est-elle née ?
Nous existons depuis 1978. Au départ nous étions une troupe communale, c’est à dire que nous dépendions directement de la commune et de ses politiques pour les thèmes de nos pièces. On marchait à la commande et la plupart du temps on participait à des concours au nom de la commune, on jouait ce que l’on nous demandait. Avant l’arrivée de la démocratie, il n’y avait de troupes privées, ni d’associations. Puis, les choses se sont libéralisées et nous avons transformé la troupe communale en une association culturelle en 1990. Aujourd’hui, nous travaillons avec la commune, comme avec n’importe qui, via des contrats.

Le passage à notre statut d’indépendants nous a permis de toucher de l’argent et de développer la troupe. La troupe s’est développée tant financièrement que intellectuellement, si je puis dire. Nous avons commencé à jouer pour notre propre compte et pour notre plaisir, sur des sujets que nous choisissions. Nous avons alors collaboré et monté des projets de pièces avec des Ong. Le gouvernement malien nous a aussi sollicité. En contrepartie, nous demandons des per diem pour nos acteurs, et puis nous essayons de dégager un peu de « bénéfices » pour investir dans du matériel, continuer à développer la troupe.

De temps en temps nous faisons des tournées, financées en partie par des Ong. Nos pièces se terminent toujours par un débat public. Le public est systématiquement interrogé et participe.


Quels sont les principaux thèmes sur lesquels vous choisissez de mobiliser la troupe ?
Nous travaillons surtout autour de la santé et, par voie de conséquence, autour des questions de l’amélioration du cadre de vie, de la salubrité, de l’environnement urbain notamment.

Une année, nous avons fait un spectacle pour la FAO. Avec les Ong présentes ici localement, nous avons imaginé une pièce sur les cultures céréalières, vivrières et les cultures industrielles. A l’époque, tout le monde faisait ou voulait faire du coton, c’est ce qui se vendait le mieux, et les cultures vivrières étaient totalement négligées. La pièce a très bien marché, elle a même été envoyée à RFI où elle a été diffusée.

Nous nous attaquons aussi au SIDA, sur lequel nous avons déjà écrit trois ou quatre pièces.

Nous avons également travaillé une pièce sur la santé, en collaboration avec l’OMS, l’UNICEF et le projet santé Mali - Suisse. La pièce portait sur la vaccination et ses bienfaits sur le santé des enfants particulièrement, la prévention contre certaines maladies mortelles, le fièvre jaune, la poliomyélite, le choléra... Une représentation a été filmée par la télévision italienne et traduite pour être diffusée dans d’autres pays. Cette campagne sur la vaccination élargie, c’est certainement un de mes meilleurs souvenirs !!! Nous présentions la pièce un peu partout dans la région, on faisait une grande tournée dans les villes et les villages. La troupe a vraiment très bien joué cette année-là, peut-être jamais aussi bien et pendant les représentations, on voyait bien que le public était très réceptif. Pour l’anecdote, dans un des villages où on avait joué et présenté la pièce, un médecin a eu quelques petits soucis avec la population : le lendemain matin de la pièce, il y a eu une véritable razzia sur les vaccins et le médecin n’en avait pas assez pour tous. Et... il a été obligé de quitter la ville !!

Et puis, il y a eu « Le Moustique », qui portait, vous le devinez sans mal, sur le paludisme. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce n’est pas un sujet facile à traiter : le problème est de faire comprendre que ce sont les moustiques qui apportent le paludisme. Les gens ne le comprennent pas facilement, ils ont du mal à croire que tel moustique soit porteur du paludisme et que son « voisin » ne le soit pas. Par exemple, ici, dans la région de Sikasso, nous avons beaucoup de cas de paludisme mais nous avons peu de moustiques comparé à des régions comme Djénné ou Mopti, particulièrement marécageuse et infestée à longueur d’année et qui dénombrent beaucoup moins de malades que nous. Donc pour certains, le paludisme ne se transmet pas par le moustique, donc pas de prévention, pas de moustiquaire, etc...


Et cette pièce, qu’est ce que ça raconte ?
C’est l’histoire d’un moustique qui vient envahir un peuple, et comme tout bon envahisseur, il porte avec lui ses arguments : il dit aux gens de laisser leurs déchets traîner dans les rues, de ne pas évacuer les eaux usées, il valorise les comportements qui l’arrangent comme ne pas utiliser de produits anti-moustiques, ne pas hésiter à se promener le soir sans être couvert... Puis une armée de résistance arrive constituée des représentants du service d’hygiène et de l’assainissement. Ils sont porteurs d’une solution, ils expliquent et diffusent les contre-arguments. Et bien sûr, la pièce se termine par le nerf de la guerre en matière de lutte contre le paludisme : la moustiquaire ! Dès que le moustique voit la moustiquaire imprégnée, il meurt. C’est une fable, un conte très simple et compréhensible par tous, des petits et des grands.


Dans les sujets que vous abordez, avez-vous des limites, des thèmes que vous ne souhaitez-pas traiter ?
Certains sujets sont trop sensibles à mettre en scène : c’est le cas de l’excision par exemple. Plusieurs choses freinent notre envie de traiter de tels sujets : l’excision en elle-même, au-delà d’être traditionnelle, n’est pas forcément perçue comme quelque chose de mal. Les femmes, particulièrement dans les villages, ne comprennent pas qu’on leur dise que l’excision peut provoquer des complications gynécologiques qui peuvent nuire à la reproduction. Pour elles, autrefois, les femmes étaient excisées et chacune d’entre elles pouvaient avoir jusqu’à 10 ou 15 grossesses , alors qu’aujourd’hui les femmes n’ont pas plus de deux, trois ou quatre enfants, et elles ne sont pas excisées. Et puis, très franchement, nous ne sommes pas sûrs que le théâtre soit le lieux de débat adéquat pour traiter de ce genre de problème, tabou, traditionnel, ancrés dans les mentalités, et exclusifs aux femmes. L’aborder dans un lieux public où hommes et femmes sont présents, c’est beaucoup trop tôt. Traditionnellement, les hommes n’ont pas accès à l’excision, c’est une affaire de femmes, comme la circoncision est une affaire d’hommes. L’ouvrir en public était problématique, prématuré. Nous n’avons pas été plus loin pour la présenter. Pourtant nous avions conçu une pièce, très ouverte, qui n’accusait personne mais qui posait des questions, et qui ouvrait sur un débat. Même si c’est peu, ça fait toujours avancer les choses.


Avez-vous déjà envisagé d’organiser une « internationalisation » de vos pièces, notamment celle sur le paludisme qui pourrait intéresser l’ensemble des pays africains de la sous-région ?
Nous avions pensé à cela, il y a quelques temps, mais ce n’est pas facile à organiser. Nous avons contacté plusieurs fois des organismes internationaux, sans réel succès. Vous savez, le vrai problème, c’est qu’il faut que les bailleurs, les financeurs potentiels soient sensibles au théâtre et à l’expression artistique et convaincus du rôle qu’il peut jouer dans la sensibilisation autour de la santé ou du paludisme. Il faut en général un bon appui qui donne l’impulsion, un contact convaincu de la chose et après ça marche.

Avez-vous une idée du public que vous touchez ?
Lorsque vous arrivez dans un village, vous mettez la musique et tout le village arrive. Donc de ce côté, c’est pratique, nous n’avons pas besoin de campagne de presse préalable. !!! A chaque fois, c’est à peu près, quatre cent à huit cent personnes que nous touchons. Toutes nos pièces sont suivies d’un débat, aussi nous voyons bien quel est le public le plus fréquent. Les femmes viennent plus facilement car, de façon traditionnelle, les divertissements, les distractions sont plus acceptés pour les femmes. Culturellement, les hommes viennent moins, sauf lorsque c’est traditionnel ou lorsqu’ils ont été expressément invités. Les anciens ne viennent que s’ils sont responsables de quelque chose dans le village.

Nous essayons autant que possible, de toucher toutes les couches de la population. Pour moi, le théâtre est un moyen unique de sensibilisation au même titre que le cinéma, à la différence qu’il est en contact direct avec le public. L’avantage du théâtre, c’est qu’il peut entrer partout, si tant est que l’on se donne les moyens, il peut toucher les populations les plus démunies qui n’ont pas accès à la télévision, les populations rurales notamment, d’où les tournées dans les zones retirées. Bien sûr, pour les villes, le cinéma et la télévision prennent le dessus sans conteste.


Comment fonctionne la troupe ?
Les acteurs ont entre quatorze et quarante ans. C’est important d’avoir un troupe très « plurielle ». On y trouve de tout : des étudiants, des ouvriers, des enseignants, des femmes. Les femmes qui participent à la troupe acquièrent rapidement une ouverture d’esprit, qui les libère en partie, qu’elle conserve en dehors du groupe, dans leur vie. Nous avons aussi une troupe de handicapés moteurs qui travaille avec nous, surtout sur la campagne de vaccination. Leur présence est d’autant plus forte sur ce thème.

Chacun gagne en général, un per diem d’environ 1500 Fcfa, qui leur permet souvent pour beaucoup de s’équiper en petit matériel pour leurs métiers respectifs.

Dans la troupe, certains sont allés à Bamako et sont devenus acteurs professionnels. C’est le cas d’Adama - Adama Traoré, Président de l’Ong Acte Sept - il était de la troupe. Il avait le goût du théâtre et il a continué sur Bamako, c’est là-bas, que se joue l’essentiel de l’effervescence culturelle malienne.


Et votre parcours professionnel ? Vous avez toujours souhaité faire du théâtre ?
Je fais du théâtre depuis 1964. J’avoue que je ne sais pas pourquoi je suis allée vers le théâtre. J’ai commencé en tant qu’assistant, puis je suis devenu un peu acteur, j’ai fait un peu de mise en scène et aujourd’hui, je dirige la troupe. J’étais instituteur et nous faisions les répétitions pendant les soirées. Maintenant que je suis à la retraite, je recherche des petits marchés et des contrats, j’organise des voyages. J’écris des pièces avec un ami sur des sujets politiques et sociaux.


Humainement, cela vous a-t-il apporté des surprises, cela vous a-t-il transformé ?
Oui, bien sûr ! C’est certainement, sans le savoir, pour cette raison que vous vous engagez. Parce que financièrement, je perds tout ce que je gagne. Tout cela a changé ma mentalité, mon comportement social. Je suis devenu beaucoup plus ouvert, plus curieux, très collectif... Tous les acteurs deviennent en quelque sorte un membre de ma famille, dès qu’ils sont malades par exemple, nous nous entraidons...


Quelles sont vos idées pour demain ?
Pour la suite, nous aimerions travaillé sur et avec l’école. Parce que les effectifs d’enfants scolarisés sont énormes. Depuis la révolution Sankariste et la devise « un village, une école », chaque gouvernement a fait de la scolarisation des enfants sont cheval de bataille pour tenter d’améliorer le taux de scolarisation. Or, les moyens pour enseigner sont extrêmement faibles (un instituteur pour 120 enfants) et la formation des maîtres d’école est précipitée. Cette scolarisation massive s’est faite au détriment de de la qualité de l’enseignement. Le théâtre peut aider à éduquer, peut devenir un appui, un allier de l’enseignement. Dans ce cadre scolaire par exemple, je voudrais aussi reprendre les pièces sur le paludisme, la vaccination, le SIDA et pourquoi pas des modules d’expression théatrale sur la démaocratie, la citoyenneté... Je crois que le public serait bien choisi, non ?!?




Gouro Bocoum est originaire de Djenné, dans le nord du Mali. Il est directeur de la troupe Balafon de l’association Contact Balafon.



Quelques compléments :

- une sélection de fiches d’expérience sur le thème "Art et société" (format PDF - 312 Ko) -> télécharger


Sikasso - Mali, le 21 juillet 2004.




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