Mariam et son rêve d’amour

Ouagadougou. La matinée coulait paisiblement dans les rues animées du quartier Sanyiri. A l’extérieur, les premiers mécanos et boutiquières de l’avenue finissaient leur ouvrage et s’allongeaient sur les bancs et les nattes en réclamant un sursis mérité à la chaleur. On sentait venir l’entracte heureux et apaisé du déjeuner. Du rêve et de la douceur s’échappaient de cette réalité.



Pourtant quelque chose manquait. C’est alors que Mariam apparut...

Une silhouette sombre, fine et déliée au loin s’approchait. Ses pas lents se succédaient un à un et semblaient suivre la ligne droite où son regard se dirigeait. Elle progressait si lentement qu’il était impossible de ne pas l’apercevoir dans le manège des vélos et des voitures qu’elle attendait pour traverser la voie menant jusqu’à son atelier. En la contemplant au loin, on se rappelait les paysages ouverts et sans entraves qui vous délivrent des efforts de résistance intérieure et qui invitent à la liberté, à se laisser emporter par les formes belles et nouvelles de la matière et de la lumière, à contempler pour le bonheur de contempler. En la devinant de loin, on voyait un océan de calme intérieur parsemé de petites îles de fantaisie, les fantaisies de l’expression et de la grammaire africaines, une autre façon d’échanger des mots, du temps et du silence, de bavarder avec la patience et la dérision, d’agrandir les possibles de la délicatesse et de la bienveillance. Elle n’avait pas de fragilité hormis celle de ses poignets et de ses jambes effilés. Parce que l’on était loin, alors on devinait. Ses cheveux mi-longs tressés et son visage avaient pivoté une ou deux fois pour adresser un regard suffisant et détaché à des passants, sans modifier le battement de ses bras qui dessinaient des vagues musicales de ses épaules vers ses hanches. Le bout de ses doigts frôlaient régulièrement ses jambes à chaque passage comme s’il y avait une intime cadence dont la fonction était d’orchestrer. La distance entre elle et nous se réduisait. La devinette et le songe allaient s’enfuir - heureux malheur - en laissant notre désir intact choisir les mots justes pour faire sa connaissance.


Nous sommes avec son ami Claude dit « Abou le blanc » lorsqu’elle vient nous saluer avec cette façon troublante d’arborer sa féminité, d’abandonner un sourire charmant puis de nous serrer la main. D’abord discrète et silencieuse, elle devient curieuse, espiègle et confidente et se lance comme dans un voyage, au fur et à mesure du conciliabule, dans son histoire de jeune femme qui se joue depuis 1979 entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. On relevait en elle cette légère ambiguïté de mettre de la réserve dans ses mots et de balayer du regard les alentours, nous ôtant un peu de sa présence alors que tout son corps est là, comme une faveur, transporté, léger, affirmé, vacant. Elle envoyait des bouts de phrases dont elle accentuait très souvent les premiers mots comme pour se lancer dans l’escalade d’une composition verbale et l’insistance diminuait progressivement quand elle achevait le morceau d’adage dans lequel elle s’était engagée. Sa parole et ses attitudes bondissaient et rebondissaient. Elle était amusante. Elle plaçait tout le temps un « bon ! » avant de parler, suivi d’un court temps de préparation pour se lancer dans sa phrase. Explorer son histoire avec elle était à la fois un privilège, un trouble et une allégresse. Le fil de nos discussions l’a amené à livrer de précieuses confidences...

Mariam est née et a grandi en Côte d’Ivoire avec ses quatre frères et soeurs jusqu’à quatorze ans . Son père lui demande alors de se rendre au Burkina Faso chez une tante qui s’est installée ici-même à Ouagadougou. Là-bas, elle pourrait continuer sa scolarité et apprendre un métier. C’était le 2 août 1993, un mardi. Mariam se souvient du train qu’elle a pris seule d’Abidjan à Ouagadougou. Elle reste une semaine dans la capitale puis repart pour les deux mois de saison des pluies et de travail de la terre à Sikassin, une bourgade au sud du pays dans la famille de son oncle et de sa tante. Elle y apprend à semer, cultiver le mil, récolter le maïs, puiser l’eau au marigot. Les conditions de vie sont plus rudimentaires. Là-bas on dort sur une natte, les maisons sont faites de banco (des moellons de terre cuite). « Il fallait que je porte des choses sur la tête. J’avais l’impression que tout me tombait dessus ! » raconte Mariam. Elle s’y accommode tant bien que mal et fait l’apprentissage progressif de la langue moré.

« Bon ! Je ne sais pas vraiment pourquoi mon père m’a demandé de partir au Burkina Faso. Manquait-il d’argent pour me confier à ma tante ? Me faisait-il confiance au point de me lancer dans la vie comme dans une aventure ?

Ensuite, je suis revenue sur Ouagadougou et j’ai commencé ma sixième au collège. J’habitais avec ma tante et comme à cette époque j’étais musulmane, je me levais à 4h du matin pour faire mes prières. J’ai décidé de devenir protestante par la suite, car après être tombée malade du paludisme, des personnes protestantes m’avaient annoncé qu’elles prieraient pour moi. Et cela a marché d’après moi. Je me suis alors convertie. Ma famille n’a pas trop compris ma décision au départ, cela a demandé du temps. Mais j’étais très reconnaissante de ces gens qui m’avaient confié leur prière.

En même temps, j’apprends petit à petit la couture avec ma tante et d’autres connaissances. C’est ainsi que j’ai pu devenir couturière et créer mon atelier de couture. Je n’avais pas beaucoup d’amis jusqu’à une époque assez récente et je dois énormément à mon ami Abou que vous connaissez. Nous nous sommes connus près de chez moi, c’est lui qui est venu me parler pour la première fois. Je lui parlais très peu au départ alors il retournait chez lui. Puis petit à petit, nous sommes vraiment confiés. Il a voulu me faire la cour mais c’était trop tard ! Nous avons reconnu que notre relation était d’une autre nature ! Abou m’a apporté beaucoup de réconfort dans tous les moments et lors de mes histoires amoureuses notamment.

A 17 ans, j’étais avec un petit ami militaire qui cherchait à m’imposer trop de choses. Bon ! Je ne me suis plus senti bien avec lui et nous nous sommes séparés un an après que je sois arrivée ici. J’étais complètement désemparée, malade et je suis retournée deux ans en Côte d’Ivoire pour oublier. Je suis tombée malade mais j’ai réussi à me détacher. Je retourne ensuite à Ouagadougou pour y rester huit mois mais le même homme me rend visite et me hante à nouveau. Bon ! Je repars vers Abidjan pour fuir tout cela et je fais la connaissance d’un ivoirien dont je tombe amoureuse. Nous sommes restés trois ans ensemble et j’apprends que cet homme a du mal à m’être fidèle. La distance entre le Burkina et la Côte d’Ivoire nous séparait, nous usait, mais je n’y croyais plus. A ce moment là, j’ai commencé à me demander à quoi cela servait d’aimer !? Je n’y croyais vraiment plus !

Ma vision aujourd’hui a changé et je le dois aux romans d’amour ! Ils m’ont fasciné. Je m’aperçois qu’il y a la même chose dans la vie des autres. J’adore la musique. Les morceaux de Francis Cabrel, Garou, Céline Dion me donne envie de partager tout ce qui est dit dans les paroles et cela peut me rendre très mélancolique parfois !! L’écriture aussi. J’écrivais souvent des petites choses sur ce que j’observais, ou bien des histoires. Je les relis lorsque je retourne en Côte d’Ivoire rendre visite à mes parents. Il était pour moi difficile d’y voir clair sur la vie qui me tombait dessus car nous ne nous confions que très difficilement entre nous sur des sujets intimes ici. J’ai compris avec les livres que la vie ne s’arrête pas là. J’ai recommencé à espérer et j’ai vu que l’amour existait vraiment et que je pourrais peut-être le vivre différemment un jour. Je n’avais pas vraiment d’amies et je me suis soudainement sentie plus proches d’elles, ce qui m’a permis de me faire des camarades et de partager ce que je vis. Je crois à nouveau dans les relations amoureuses. Il me semble que j’apprécie mieux la vie à présent. Mon rêve est de réaliser un nouvel amour qui m’engage totalement et d’aimer les gens qui m’entourent davantage » .





Il fallait bien fêter toutes ces nobles et étonnantes confidences. Mariam accepte notre invitation un soir de mettre sa voix sur «   Couleur café  » de Serge Gainsbourg (format MP3 - 3 Mo) -> télécharger .






Ouagadougou - Burkina Faso, le 21 août 2004






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