Ah mais je vous vois venir là ! Vous êtes des petits curieux vous !?

Ecrire, se remettre en question, rêver, jouer la comédie, croire à la responsabilité, à la liberté, à l’être plutôt que l’avoir. Voici la quête et les confidences enflammées d’Abdoulaye Sidibe, un homme entièrement drôle et drôlement entier qui a tenu à mettre en scène le conflit qui divise la Casamance depuis vingt ans. Chauffe Abdoulaye, chauffe....


Abdoulaye, après le mini-film que nous venons de réaliser ensemble sur la pièce que tu as écrite qui s’appelle « la Réconciliation », nous voudrions discuter avec toi de tes valeurs et de ce que tu poursuis. Il faut bien commencer par une question, alors... En quoi crois-tu Abdoulaye ?

Ah, mais je vous vois venir vous, vous êtes des petits curieux ! Mais j’aime bien discuter de tout cela, alors jouons le jeu !

Pour moi, la grandeur d’un homme se mesure à son pouvoir d’acceptation de l’autre. S’il existe un être supérieur, je crois que c’est celui qui saura réellement comprendre son prochain et se questionner sans cesse sur sa compréhension. Comment en suis-je venu moi-même à penser cela ?
En fait je me suis rendu compte qu’il m’arrivait de juger les autres trop rapidement. C’est une tendance que l’on a en nous de cataloguer, d’étiqueter, de se faire une idée sur les autres car la diversité est gênante, perturbante. J’étais loin de leur vérité et au fur et à mesure que j’avançais, je me trompais. C’est un métier difficile de se mettre à la place de l’autre et de se demander pourquoi et comment adviennent les êtres et les choses : la compréhension.

Je prends un exemple : le conflit de la Casamance. J’ai la chance de connaître les factions rebelles de la Casamance. Il m’est arrivé de serrer la main d’un chef des forces indépendantistes en lui disant : « Tu as bien fait ». Il fallait se demander pourquoi cet homme était dans une position de rebelle, par rapport à quoi il s’opposait. Pour cela, nous devons opérer une rétrospective, défricher le passé pour mieux comprendre. Et dans le cas particulier de la gestion des conflits, il faut laver l’honneur, ne pas rester sur le sentiment d’humiliation.

Je crois aussi qu’il faut accepter le regard de l’autre sur soi, c’est une condition de la symétrie des échanges, de la relation. J’estime même que c’est une responsabilité aujourd’hui, une obligation. Par conséquent, prenons le temps de nous arrêter nous-mêmes et sur nous mêmes, et de faire le point sur notre conscience. L’erreur et l’incertitude font partie de la vie, cela est primordial. Le monde est un éternel questionnement.


Tu es particulièrement sensible à l’idée de responsabilité n’est-ce pas ?

Oui. Ah je me doutais que vous reviendrez sur cette idée de responsabilité ! Cela me tient beaucoup à coeur. Vous savez mon rêve en définitive, c’est que chacun se sentent responsable de tous et que tous se sentent responsables de chacun. Je pense que l’homme est un tout indivisible, son bonheur vient de son épanouissement en société, donc dans la relation avec autrui. Peut être d’autant plus en Afrique où le collectif est prioritaire sur l’égocentrique. Si les autres n’existent pas, alors tu n’existes pas. Il faut donc participer à l’existence des autres, de leur devenir, et cela implique la responsabilité. Dieu a créé les hommes partageant leurs façons de vivre, de sentir, de penser. Un peu comme les doigts de la main : si on t’enlève un doigt, tu as une main handicapée, si tu as un panaris sur ce doigt, tout le corps a mal. Avec les êtres, c’est la même chose. Le bonheur des uns peut faire le bonheur de l’autre.

Nous devons aussi voir que tout notre être peut être porté vers telle ou telle chose et que cela peut empiéter sur la liberté d’autrui. Mieux : il faut se demander comment sa propre liberté peut favoriser celle de celui ou celle qui est en face de moi. J’ai envie de dire : « plus nous sommes, plus je suis ».
Dès lors, cette idée de responsabilité incite à sortir de la domination et de la cupidité qui crée les frustrations, les conflits qui eux-mêmes génèrent la révolte, la soumission ou l’apathie. Je crois que si l’homme devient plus responsable et libre, il abandonnera ses dépendances pour les mettre au service de tous. Il faut se détacher de l’avoir également : avoir des amis, faire des rencontres une richesse. Le plus beau cadeau n’est-il pas la main que l’on tend vers ses copains ?

Dans « J’accuse », le premier chapitre de l’oeuvre théâtrale que nous consacrons à la paix en Casamance, j’ai écrit : « Pourquoi ne vous posez-vous pas de questions ? Il faut ne pas se taire, la faute d’un seul implique la responsabilité de tous ». Cette réplique pointe l’idée qu’il existe toujours une responsabilité, ici celle de donner son opinion même lorsque l’on est dans une situation d’impuissance.


Comment d’après toi promouvoir cette vision de la liberté, du respect et de la responsabilité ?

J’ai l’impression que beaucoup de monde finalement partage ces idées. Mais il manque les lieux, les groupes d’échange qui permettraient aux gens de débattre et de donner un sens collectif à ces termes.
L’éducation, qui à mon sens est un art, devrait nous conduire à nous questionner davantage sur le métier d’être, sur les relations aux autres et sur la responsabilité individuelle et collective.
Ah mais vous allez penser que je suis trop sérieux là ! Je vous vois venir là... Mais je suis un grand rêveur ! Pour moi, il y a une liberté qui n’a pas de limites, c’est celle de rêver. Et je rêve en effet que chacun se sentent responsable de tous et que tous se sentent responsables de chacun !


Abdoulaye Sidibe écrit actuellement « Les retrouvailles », le dernier acte de son oeuvre consacrée à la paix en Casamance. Cette pièce s’insérera dans le projet la Main de l’espoir animé par les lycées de la Casamance naturelle (lien).


Quelques compléments :
- La Charte des responsabilités humaines (format PDF - 80 Ko) -> télécharger





Ziguinchor (Casamance- Sénégal), le 26 juin 2004




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