Awagna, la voix des paysans

« La radio rurale est fière d’accueillir aujourd’hui, William et François deux jeunes français partis faire le tour du monde et qui nous font la gentillesse de faire une halte dans notre bonne vieille ville de Bignona, Casamance. Alors, William et François, vous allez bien ? »
Nous avons effectivement pendant quelques minutes eu l’honneur d’égayer d’un souffle exotique les ondes locales d’Awagna en compagnie de son animateur vedette Allioune. Mais notre déplacement avait surtout pour but d’écouter son président nous parler de cette initiative locale qui vise à offrir aux paysans, une voix. Nous sommes donc les animateurs d’une émission radio qui, d’ailleurs, se joue à chacune de nos rencontres. Lisez ! C’est de la radio !




La radio ambulante Traversées reçoit aujourd’hui Monsieur Ismaïla Bjiba, Président du comité de gestion de la radio rurale Awagna, radio qui émet dans la région de Bignona, non loin de Ziguinchor en Casamance. Monsieur le Président, bonjour. En quelques mots pouvez-vous nous présenter votre radio ?

Bonjour et merci à vous de nous rendre visite. Notre radio est née le 9 juillet 1999. Elle est jeune. Je ne vais pas vous cacher que depuis sa naissance, nous avons connu des hauts mais aussi des bas. Sa naissance correspond à une forte demande des communautés rurales de pouvoir disposer d’informations sur leur région. Sa mise en place a bénéficié de fonds extérieurs, des partenaires qui nous ont offert le matériel nécessaire au lancement de la radio communautaire. Pour la suite, c’était à nous de nous organiser, de trouver les ressources. C’est ce que nous essayons de faire chaque année pour subsister.




Nous sommes une petite radio, avec 9 personnes à plein temps, qui sont à la fois reporter sur le terrain et animateur d’émissions. Nous essayons de nous caler sur le rythme de vie des populations, c’est pour cela que nous émettons chaque jour de 7h30 à 8h30 et de 18 h à 24 h, les heures où ils sont les plus disponibles pour écouter la radio. Nous émettons dans un rayon de 120 km environ avec plus ou moins cinquante de battements, ça dépend du climat !


Ca permet de toucher une population relativement conséquente. Comment vous y prenez-vous pour choisir les thèmes sur lesquels vous allez débattre à la radio ?

Nous essayons de prendre en compte les préoccupations des populations rurales surtout. Nous essayons de traiter toutes les questions qui peuvent toucher la communauté rurale, directement ou indirectement. C’est ce qui nous amène à couvrir un large éventail de sujets possibles : des semences à la fertilisation des sols, en passant par la sensibilsation à l’IST-sida par exemple. Pratiquement toutes nos émissions sont ouvertes au dialogue, les auditeurs peuvent appeler pour faire un commentaire, pour poser une question, faire une dédicace. C’est très important, ça créé du lien entre les villages et les gens, car ici, même dans un rayon de 100 kilomètres, pratiquement tout le monde se connaît.

En général et classiquement, nous fonctionnons de la façon suivante : nous choisissons nos sujets lors du comité de rédaction. Nous choisissons les animateurs et nous identifions une ou des personnes ressources. Nous interrogeons également nos auditeurs pour savoir quels thèmes ils aimeraient voir aborder dans nos émissions.


Si je comprends bien, vous mettez en avant tout le côté patrimonial de cette petite partie de la région Casamance ?

Nous essayons de valoriser tout ce qui est local : la culture, les artistes, le floklore, et surtout nous nous efforçons depuis notre origine à maintenir nos informations dans les quatre langues majoritaires que nous rencontrons dans notre rayon d’émission : le poulard, le mandingue, le wolof, le diola. Une fois par semaine, nous retransmettons les informations dans les langues minoritaires de notre région.

Ceci est un critère essentiel pour recruter le personnel. Il a fallu trouver des personnes capables de parler toutes ces langues. Et c’est parfois compliqué de faire passer des langues qui sont minoritaires parmi les parlers majoritaires.


Et concrètement, pensez-vous que votre taux d’écoute par la population est bon ? Arrivez-vous à évaluer si oui ou non, vous êtes écoutez ?

Nous sommes en concurrence avec 4 radios. Mais, nous savons que nous sommes beaucoup écoutés particulièrement dans les zones où nous sommes bien captés. Par exemple et pour l’anecdote, on a eu quelqu’un qui a fait un communiqué qui disait qu’il avait perdu une vache, le lendemain on avait l’impression que tout le monde avait perdu sa vache. Nous avons donc compris que l’on était écouté. Et puis notre gros atout par rapport aux autres, c’est que nous diffusons en langue locale. Et puis, nous privilégions la diversité des programmes, c’est un point fort aussi, nous rencontrons un public pour chacune de nos émissions, des plus jeunes aux plus vieux. Quand vous prenez les autres radios, je mets la télévision dedans, on a l’impression qu’elles sont toutes calquées sur le même moule. Notre spécificité, c’est de renverser la tendance à l’uniformisation en apportant du local, en valorisant notre territoire, nos initiatives, nos expériences, notre culture, nos langues. Sur nos ondes, on peut apprendre qu’une bonne expérience agricole est en train de se faire dans le village voisin.




Donc, Monsieur le Président, tout se passe bien pour vous et votre radio ?

Oui et non. Oui, pour tout ce que je viens de dire et non, parce que notre gros soucis, c’est de trouver des fonds pour continuer à faire fonctionner la radio. Pour la première fois cette année, l’Etat sénégalais a participé au fonctionnement de notre radio. Pas beaucoup, mais c’est déjà ça. On verra comment par la suite son soutien se fera sentir.

Dernièrement, pour essayer de faire entrer un peu d’argent dans les caisses, depuis peu nous faisons, ce que l’on appelle des émissions décentralisées. Nous prenons en charge le déplacement des journalistes et l’organisation de l’émission sur place. Ce que nous demandons en échange, c’est que la journée soit ponctuée d’une soirée dansante par exemple et que les bénéfices soitent remis à la radio.


Vous vous déplacez dans les villages et qu’est ce que vous y faîtes ?

Sur place on procède toujours de la même façon : on se déplace dans le village suite à une invitation sans savoir quels seront les thèmes sur lesquels nous débatterons. L’intérêt c’est de venir en parfait profane, de faire un transect du village pendant toute une journée à plusieurs, hitoire de disposer d’une image tout à fait objective de la situation du village. On appelle ça une MAP - méthode accélérée de recherche participative. Ensuite, on se retrouve et on fait le point. Nous formons des groupes de discussions et sur la base des préoccupations exprimées des villageois que nous avons rencontré pendant la journée. On fait bien attention à écouter tout le monde. Et le lendemain, on remet sur la table lors de l’émission en direct, les thèmes et revendications que nous avons entenus la veille et ça permet parfois de faire avancer les choses. Par exemple, dans un village qui nous avait invité, lorsqu’on a fait le bilan de l’écoute de la population, on a été amené à parler des infrastructures du village notamment scolaires, de la santé et des conditions d’accouchement des femmes. Ensuite, on a appris que l’émission, qui n’est autre qu’une émission décentralisée de médiation, avait permis la mise en place d’un projet local pour aider à la formation d’une infirmière-sage femme et à l’implantation d’une école.


Nous sommes également en compagnie de Monsieur Baboucar DJI COLY qui est responsable de l’Université populaire. Bonjour Monsieur Djicoly, est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots, nous devons laisser la place au journal, ce que vous faîtes ici, à Bignona, dans le cadre de l’université populaire ?

Bonjour. A l’université populaire, nous essayons de sensibiliser les populations sur des sujets qui les concernent de près ou de loin. D’où notre collaboration parfois avec la radio Awagna sur des thèmes que nous avons décidé de traiter ensemble. Nous amenons l’expertise des uns et des autres pour organiser des débats publics à partir de documents audio-visuels. Nous le faisons au centre bde documentation de Bignona. Nous choisissons souvent les thèmes en fonction des besoins que nous ressentons parmi nos concitoyens et aussi pendant les soirées quand certaines questions sont posées et laissent place à une interrogation. Nous retenons ces thèmes. Après chacune de nos rencontres, nous nous mettons à niveau sur le sujet et consignons tout ce qui a été dit lors de la causerie, nous faisons une synthèse que nous diffusons avec un bulletin à la population locale. Nous prévoyons par la suite de plus utiliser la radio pour faire passer les conclusions de ces débâts et de mettre en place un site internet, pour nous ouvrir au reste de la sous-région (Afrique de l’ouest) et diffuser nos expériences.


Messieurs, merci beaucoup pour votre participation à cette émission. Monsieur le Président une dernière question peut-être ? Qu’allez-vous faire dans les minutes qui viennent ?

Je vais aller voir une jeune femme impliquée dans une association citoyenne et qui veut monter une radio communautaire. Elle a besoin d’un coup de main pour finaliser son projet. On a l’expérience, alors ce serait dommage de ne pas lui en faire profiter.


Quelques compléments :
- une sélection de fiches d’expériences réalisées par l’Association Mondiale des Radiodiffuseurs Communautaires -> consulter
- La passion radio - expériences de radio participative et communautaire à travers le monde - voir la fiche d’expérience
- Echange de fichiers sonores numérisés pour les radios africaines - voir la fiche d’expérience
- Implanter des medias communautaires - voir la fiche d’expérience




Bignona - Sénégal, le 31.05.04.





Traversées - http://www.traversees.org
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