Traverser les déserts

Accrochés à la voiture, je crois qu’on devait bien dénombrer entre dix et quinze guides officiels maures qui nous proposaient de nous aider à traverser le désert jusqu’à Nouakchott. Ils étaient pas plus guides officiels que je n’étais douanier. Je sais pas d’où ils étaient sortis, ils avaient stoppés gentillement la voiture en nous faisant signe du bras et on s’était arrêté. Evidemment.

- Ecoute, c’est simple j’ai pas deux cent euros avec moi. Je sais pas si tu es au courant, mais on peut pas entrer en Mauritanie avec des devises. Ni étrangères, ni mauritaniennes. Donc pas d’euro, pas de dollars, pas de dirhams, pas d’ouguya. Pas de sous. Rien.

- Je t’en prête si tu veux ! Tu me rembourses à Nouâdhibou !

Pendant que j’essayais tant bien que mal de me dépatouiller avec les miens, Félipé s’acharnait, côté passager, à faire comprendre qu’on disposait d’un GPS et qu’on allait bien réussir à se débrouiller, que c’était pas plus compliqué qu’ailleurs. Evidemment pour des nomades qui se déplacent avec une boussole dans la tête, ça les faisait un peu sourire. J’écoutais d’une oreille.


- Tu sais, le désert il bouge tout le temps et des fois la route elle est bloquée par le sable. Tu peux pas passer. Il faut contourner. Beaucoup. C’est dangereux.

Faut dire qu’ils étaient beaux avec leurs chech autour du visage. Des chech bleus, noirs ou blancs. La peau cuivrée et patinée par le soleil, le vent et l’aridité du Sahara. Certains avaient les yeux bleus. Ils étaient beaux, mais ils étaient gonflants avec leur harcellement de chaque instant. On avait à peine le temps de répondre aux questions, on arrivait pas à se faire entendre, de toute façon ils nous écoutaient pas. Alors et malgré les trois têtes passées à travers chacune des portières et qui scrutaient chaque recoin de marguerite pour savoir ce qu’on pouvait troquer, j’ai redémarré tout doucement, histoire de leur faire voir qu’on était pas intéressé. Ils sont restés accrochés quelques mètres et puis ils ont fini par comprendre qu’il n’y avait plus rien à tenter pour récupérer ces deux français. Le dernier nous a juste dit au moment où je tendais le bras pour le remercier :


- Attention au début de la piste, les bords sont minés...

J’ai accéléré et on s’est engagé sur la piste. Il y avait bien une piste, légèrement goudronnée et complètement défoncée, qui datait de l’époque des espagnols, du temps du Sahara occidental. On a pas fait attention en fait, on s’est dit que ça devait être l’unique chemin. Quand on a été élevé avec du bitume sous les pieds, évidemment, dès qu’on en voit on se dit que c’est le bon chemin. On a bien fait une demi-heure, peut être trois quart d’heure sur cette piste. Mais ça nous paraissait quand même bizarre, les traces n’étaient franchement pas fraîches et on croisait pas grand monde. C’est au premier passage délicat qu’on a commencé à se dire que ça ne devait pas être par là. Si on avait du mal à passer avec Marguerite, alors ceux qui passaient avec des fourgons Mercedes ou des Renault 18, ils auraient inévitablement du laisser trace de leur passage. Or, de traces, nada. Alors quand on a eu franchit le deuxième banc de sable, difficilement, il a bien fallu se rendre à l’évidence, on s’était planté de chemin. On avait pris la mauvaise piste.


- Je crois qu’il faut faire demi-tour, a dit Félipé. On retourne sur nos pas et on trouve la bonne piste. C’est pas franchement loin. Au besoin on se posera pour la nuit au début de la piste et on repart demain matin. On a de la bouffe et de l’eau. Pas de problème.

Devant nous, le deuxième banc de sable nous narguait. Il y avait encore nos traces du premier passage. J’ai enclenché première, deuxième pour qu’on s’engage assez rapidement sur le banc, histoire que la voiture passe en surfant sur le sable. L’aller était plutôt en descente, alors forcément le retour devait se faire plutôt sur une légère montée. La voiture a bien récupéré les traces, elle a fait cinq ou six mètres sur la quinzaine qu’on avait à franchir et elle s’est plantée au milieu du banc. Félipé est descendu, j’ai enclenché la marche arrière et difficilement Marguerite est sortie. J’ai reculé histoire de prendre un peu plus d’élan. Première, deuxième, légers coups de volant histoire d’ouvrir le sable. Plantée à nouveau, un peu plus haut. J’enclenche à nouveau la marche arrière. Encore une fois Marguerite se dégage. Je recule au même endroit, en me disant que j’allais essayer de passer première, deuxième, troisième et que ça devrait passer. Machinalement, j’ai regardé les manomètres du tableau de bord pour voir si tout était en règle et si Marguerite ne chauffait pas trop.


- Merde ! La température est dans le rouge.

Je mettais en route les deux ventilateurs supplémentaires qu’on avait installé exprès. J’y croyait pas de trop, vu où se trouvait l’aiguille de température d’eau.


- Quoi ? Qu’est ce qu’il y a ?

- La température regarde. Elle est carrément dans le rouge ! Et la charge de la batterie. Regarde, on a presque plus de jus.

- Merde ! Vas-y, ouvre !

J’ai tiré sur la manivelle et le grand ventre de Marguerite s’est retrouvé à l’air libre.


- C’est la courroie de l’alternateur qui a lâchée. Vas-y coupe le moteur.

Je suis descendu et effectivement, la grande courroie qui reliait l’alternateur à la pompe à eau était complètement déchiquetée. Elle était encore dessus, mais elle n’accrochait plus rien. J’ai dit :


- Ah ! La colle !

Ensemble et au même moment, on s’est revu tous les deux à Dakhla au Maroc, avant de prendre la route qui devait nous emmener jusqu’au porte du désert, en train de se dire que la courroie de rechange on l’achèterait sur Nôuadhibou. A ce moment- là, on venait de se coltiner trois heures de négociation, transport, démontage sur véhicule usager pour récupérer un cache-culbuteurs au cas où le notre viendrait à céder. Il était fêlé. On voulait absolument se mettre en route avant la nuit. On a tenté le coup. Pas de bol. Enfin là, devant le moteur on s’est dit que c’était quand même couillon. Et on est bien resté comme ça deux ou trois minutes, réfléchissant chacun dans notre coin aux solutions qui s’offraient à nous. C’est Félipé qui a rompu l’atmosphère qui commençait à se tendre légèrement.


- Bon ! Je propose qu’on essaie de bricoler la courroie avec ce qu’on a dans la bagnole. Si on avait été moins couillon on aurait embarqué des collants !

- Comment tu veux qu’on bricole quelque chose ?

- On a qu’à essayer avec de la sangle. C’est solide ! Ou avec de l’élastique. Du fil de fer, j’en sais rien moi, il faut bien tenter quelque chose !

- Ok, ok, ok ! On va pas commencer à s’énerver ! Je vais commencer par aller voir si on est pas trop loin de la piste. C’est pas possible, on a pas pu s’égarer énormément ! Dans ce cas, si on arrive à choper une bagnole, ils pourront peut-être nous dépanner avec du collant. Un maure, c’est sûrement prévoyant ! Pendant ce temps, t’as qu’à regarder dans la caisse qui est sur le toit ! Peut être qu’on y trouvera quelque chose ? Je me rappelle pas ce qu’il y a dedans, mais y’a du bordel.

Je suis parti pour atteindre un point haut et essayer d’y voir plus clair sur notre position. Mais il n’y avait rien à faire. Je ne pouvais pas m’éloigner de trop de la voiture, tout se ressemblait. Et quelque soit le point haut que je choisissais, je ne voyais rien. Et ce putain de vent qui soufflait. Je suis redescendu.


- Fais gaffe quand même Léo quand tu te déplaces ! Tu me voyais pas te faire des grands signes ?

- Si ! T’as trouvé quelque chose qui peut faire l’affaire ?

- Mais non ! J’essayais de te dire qu’il fallait faire gaffe en se déplaçant ! Les guides nous ont bien dit que c’était miné de ce côté !

-  !!!!

- T’as vu quelque chose ?

- Non rien ! Mais c’est pas possible, on est forcément pas loin de la vraie piste. On a pas pu dévier à ce point !

Félipé avait sorti tout ce qui pouvait faire office de courroie de dépannage. Du tendeur, du scotch américain, de la grosse sangle, du fil de fer, du cuir. Et on s’y est mit. Il nous restait deux bonnes heures avant la nuit. On a commencé avec la sangle, c’est ce qui nous paraissait le plus solide pour tenter quelque chose et puis doublée, elle rentrait bien dans les gorges des poulies. Et comme une tuile n’arrive jamais seule, on a foiré une vis de l’alternateur en le dévissant pour essayer de passer la courroie qu’on avait bricolé. On a donc enchaîné avec le bricolage de l’alternateur. En deux heures de temps, on a bien essayé quatre ou cinq courroies différentes. Ca tenait pas. Soit ça sautait, soit ça craquait. Il n’y avait rien à faire. Quand la nuit a commencé à pointer son nez, on a pensé simultanément qu’on était vraiment dans la colle.


- On range ? a dit Félipé.

- On mange ?

- T’as faim ?

- Non.

- Je propose qu’on se couche ! Et qu’on se lève de bonne heure pour retenter quelque chose.

- Ouais, mais quoi ?

- J’en sais rien moi ! On verra bien demain matin !

Alors on s’est couché. Le sable s’était déposé partout dans la voiture. Un sable fin, qui se glissait dans les moindres trous. Il y en avait sur les caisses, sur le plateau, dans les duvets, sur le tableau de bord. De la poussière. On en avait plein la bouche et les yeux.


- Je propose qu’on ne tente rien demain matin, mais qu’un de nous essaie de rejoindre la piste à pied en suivant le chemin qu’on a emprunté pour venir jusqu’ici. Il trouve une voiture, il file à Nôuadhibou et il revient avec une courroie neuve. A mon avis, c’est tout aussi rapide et ça peut être fait dans la journée. Pendant ce temps, l’autre reste ici et garde la caisse.

- Attends Léo, c’est trop dangereux. Celui qui va rester tout seul il va flipper ! Imaginons que celui qui est parti ne revienne pas le soir même. Et puis bon, marcher tout seul dans le désert, c’est pas franchement recommandé.

- On a qu’à partir tous les deux alors ! On prend suffisamment d’eau, tout le matériel un peu cher dans les sac à dos et on laisse Marguerite. On prie pour que personne ne vienne traîner par ici !

- Ouais, je pense que c’est mieux de le faire comme ça. En espérant que ce sera pas trop galère pour rejoindre la piste.

- Enfin, on verra bien. Bonne nuit !

- Bonne nuit !

A ce moment-là, chacun de notre côté, je crois qu’on a du paniquer un peu ! On arrivait pas à dormir. Félipé s’est endormi en premier, mais moi, il n’y avait rien à faire. J’arrivais pas à trouver le sommeil.

J’ai ressorti mon calepin et j’ai commencé à écrire.

Pour découvrir la première nouvelle de Léo
Traversées - http://www.traversees.org
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