Changer de chaîne ... et régler la lumière.

Assoupi ou simplement fatigué d’ingurgiter les mêmes âneries télévisées, il se peut que vous ayez envie de changer de chaîne en espérant, pour une fois, rencontrer quelque chose, un programme, un truc, n’importe quoi susceptible de vous emmenez ailleurs. C’est ce qu’on vous propose ici. Un dernier petit effort : appuyer sur les touches de la télécommande, quelque part se cache le film de votre vie.




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ECRAN BLANC


Le film que vous vous apprêtez à regarder, c’est le film de votre vie. Alors vous feriez mieux d’y prêter attention.

Faites ce que vous faites tous les jours. Calez vous le fesses dans le fauteuil et jouez avec la télécommande. Appuyer sur les touches jusqu’a tomber sur un écran blanc, tout blanc. Je sais c’est pas fréquent de tomber sur du blanc à la télévision. En général, soit c’est des conneries qu’on vous propose, soit l’écran est noir et qu’il est tard et que vous vous êtes endormi. Une fois que vous l’avez, l’écran blanc, votre cerveau sera tenté par deux attitudes : soit vous éteignez ou vous changez de chaînes parce que y’a rien qui se passe et que vous avez l’habitude de courir après des trucs qui se passent, soit vous attendez qu’il se passe quelque chose en vous demandant ce qui va se passer. Dans ce cas, il se peut que vous ayez à attendre longtemps parce que le film qui va se jouer sous vos yeux c’est le film de votre vie et si malheureusement vous n’avez rien à raconter, il risque de ne pas se passer grand-chose.

La majorité des individus pensent que leur vie est insignifiante et qu’il n’y a pas de quoi en faire un film. C’est ce qu’on finit par croire, tous. Comme ces gamins que l’on regarde avec des yeux différents parce qu’ils sont d’une autre couleur et à qui on finit par faire comprendre qu’ils ne pourront jamais espérer être autre chose que caissier d’hypermarché ou vendeur de hamburgers. Au bout de leur conte, c’est ce qu’ils deviennent. On nous colle dans des boites dès la naissance et on nous imprime dans le cerveau des centaines de codes qui vont conditionner nos vies. C’est plus qu’imprimé, c’est gravé à jamais. C’est la fameuse mémoire - miroir des ordinateurs qui copie systématiquement les données qui transitent par la mémoire active et qui permet, entre autre, de débusquer les images obscènes sur lesquelles se sont régalés les pédophiles ou encore de traquer les rebelles qui chercheraient à s’associer pour renverser le gouvernement du monde. C’est gravé comme dans du marbre et comme les dix commandements. S’il se passe un truc grave dans votre vie - votre petite amie vous plaque, vous perdez votre boulot, votre père décède ce qui vous fait prendre conscience que le pauvre vieux s’est sacrifié pour ne profiter de rien et finalement mourir, le disque dur peut être affecté, endommagé, parfois « cramé » dans le cas d’une dépression profonde et d’un internement en asile psychiatrique. On peut même aller jusqu’à le changer, complètement et vous en remettre un neuf. Mais la mémoire miroir, elle, elle reste. Elle est beaucoup plus tenace qu’une tique ou qu’une sangsue, elle vous emprisonne et elle vous empoisonne. Jusqu’à ce que vous arriviez à passer à travers et que vous réussissiez à toucher une autre mémoire, la mémoire originelle. La mémoire de notre espèce, depuis son origine jusqu’à aujourd’hui, la mémoire du sang. Alors et seulement alors vous serez libre d’être ce que vous êtes, de faire ce que vous avez à faire.

Tous, on est tous dominés par des codes familiaux et sociaux qui nous empêchent de voir qui on est vraiment. Les codes familiaux alimentent les codes sociaux qui à leur tour génèrent les codes familiaux et petit à petit on finit par posséder les mêmes codes, on devient pareils. Un jour ou l’autre on devient tous pareils. L’uniformisation, c’est comme ça que ça s’appelle. Là où le communisme a échoué en voulant nous rendre tous identiques, le capitalisme a été plus subtile, il nous a fait croire qu’on pouvait être tous différents et nous a obligé à être tous pareils en nous faisant courir après les mêmes trucs sans savoir pourquoi.

J’ai croise un vieux dissident turc une fois et il m’a dit : « Je crois que tout changement est possible à partir du moment où on commence à se poser des questions. » Il faisait écho, sûrement sans le savoir parce que les grands hommes se répondent sans se copier à Confucius : « Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions. »

S’il vous prenez l’envie d’interroger, genre sondage, les mères de famille à la sortie d’une école maternelle vous seriez heureux d’apprendre que demain nous vivrons tous dans une société peuplée d’avocats ou de docteurs. Aucune n’aimerait projeter son enfant vers une carrière de plombier ou de charpentier, encore moins de pêcheur. Quant à devenir artiste, ce serait plutôt pour s’occuper et non par choix qu’un fils ou une fille échouerait guitariste, peintre ou écrivain. Arrêtez vous deux minutes. Faites marche arrière et demandez vous ce que vous a dit votre mère quand vous lui avait demandé ce qu’il y avait après le lycée : « Faut aller à l’université ». Point barre, rien d’autre. Quoi d’autre ? Une fois le diplôme dans la poche vous êtes revenu pour demander ce qu’il y avait après l’université ; elle a répondu : « Faut bosser ». Une fois que vous étiez bien assis derrière un bon bureau sur une bonne chaise, elle a ajouté : « Faut acheter une maison, investir ». Enfin, une fois la voiture dans le garage et les fesses dans le canapé, elle n’a pas pu faire autrement que d’assurer qu’« il fallait trouver une femme » parce que c’était quand même mieux de vivre à deux et qu’« il fallait faire des gosses » pour leur donner de l’amour. Il faut, il faut, il faut : nos existences sont balisées de « il faut ». Les mêmes « il faut » que n’importe lequel des copains de ma première année d’école. Cent pour cent de chances que si je les recroise aujourd’hui ils auront suivis ce parcours-là. Aussi, si ce n’est pas ta mère qui te colle des « il faut » dès que tu essaies de faire un pas par toi-même, ce seront eux, tes potes de primaire, de collège, de lycée, de fac, et puis les autres, en fait le monde qui t’entoure qui s’en chargeront pour elle parce que tous auront été éduqués comme « il faut ».

Si Confucius était à coté de moi, je lui poserais cette série de questions : Sommes-nous voués à finir à l’usine ou au bureau ? Etre son boulot, sa voiture, sa maison, est-ce cela le sens de la vie ? Faire des enfants pour leur léguer cela, est -ce cela le chemin vers la sérénité et la vérité ? Si le vieux sage était à cote de moi peut-être dirait-il : « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Quel est le chemin ? La seule question qui compte : Quel est le chemin ? » Peut-être lèverait-il les yeux vers le ciel d’où il se mettrait à neiger aussitôt. Il m’inviterait alors à suivre l’un des flocons des yeux et il ajouterait : « Regarde ce flocon. Il est né il y a quelques secondes quelque part dans les cieux et il mourra dans quelques secondes là à nos pieds. Naître et mourir et entre les deux être ce qu’il est. Il en est de même pour nous. La différence fondamentale est que nous sommes la seule espèce sur ce grain de poussière a avoir conscience de la mort et qu’après avoir été, il y a la mort, donc le non - être, n’être plus rien de physique. Cette idée nous terrifie et nous pousse à chercher à repousser la mort au delà de notre conscience au point d’imposer sur la mémoire de nos enfants un code qui la rejette en dehors de nos existences, de nos façons d’être et donc de nos modes de vie. Dès lors nous nous détournons de ce que nous sommes, simples mortels devant le cycle naturel de la vie, et nous ne pensons plus qu’à nous protéger de ce destin tragique, le destin le plus tragique pour la grande majorité, la mort. La peur de n’être plus, la peur du vide, du néant, du blanc à tout jamais nous terrifie et nous pousse à générer ce destin beaucoup plus tragique à mon sens : transformé ce que nous sommes. »

J’ai levé les yeux vers le ciel de nouveau et j’ai vu ces milliers de flocons naître et mourir en même temps qu’ils étaient. J‘en avais plein les yeux de ces millions de flocons, j’en avais plein les yeux de cette blancheur éclatante. Ca m’éblouissait. Peut-être suffisait-il d’accepter ce que nous sommes pour éblouir sa propre vie.



ECRAN BLANC

Peut être n’avez-vous pas zappé pour revenir sur une télé réalité qui n’en sera jamais une ou sur les seins et le cul moulé d’une télénovela brésilienne ?

Peut être êtes vous resté coincé devant votre écran blanc attendant qu’il se passe quelque chose sans qu’il se passe rien ?

Peut être êtes vous resté bloqué sur ce blanc, ce trou blanc pur et limpide dans l’espace-temps de votre vie pourtant remplie de tellement de choses importantes ?

Peut être commencez-vous à faire écho à la maxime de Confucius ?

Peut être vous êtes-vous mis en route pour trouver des réponses à ces douleurs latentes auxquelles vous n’avez pas de réponses ?

Peut être avez-vous pris conscience de quelque chose ? Peut être vous êtes-vous endormi devant la blanche douceur de Confucius ?

Peut être que finalement vous avez commencé à rêver votre vie : Pour en faire un film.


ECRAN BLANC





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Camana - Pérou, le 25 décembre 2006.

Mots-clés

Aire géo-culturelle: Amérique du Sud
Catégorie d’acteur: Voyageur
Itinéraire de vie: Crise de l’identité - remise en question
Traversées - http://www.traversees.org
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