Une grande vadrouille

Petite histoire baroudeuse et poétisée d’un jeune ingénieur francais vacacionant en terre australe, à qui il arrive des bricoles, une embrouille, une rencontre et au bout du compte une grande vadrouille. Merci aux vacanciers français rencontrés entre Ushuaia et Rio Gallegos qui ont secrètement mis leurs mots dans cette histoire.

La grande vadrouille


Voici l’Amérique latine les amis
Entendu dire que le soleil brille par ici
Cumbia, fiestas, autant dire peu d’ennui
Fin de la semaine le mercredi
Mais depuis une semaine j’ai changé d’opinion
Le vent souffle en tourbillon
L’été est là, mais ça caille à fond
Je démarre mes vacances en veston


D’accord nous sommes en Patagonie
On est pas loin du pôle comme on dit
Mais pourquoi ne m’a-t-on rien dit
Je serais allé plutôt en Asie
Bon alors soit, admettons
On peut se tromper de saison
Reste trois semaines de vacations
Faut que je rentabilise mon pognon


Allons "at first" trouver un joli coin
Un hébergement bon marché et serein
Hola senor une chambre pour un
Tout est complet ah bon ? C’est certain ?
Zut ! C’est la colle pour cette nuit
La ville est grande et j’ai pas d’amis
Ni d’adresses dans mon calepin
Comment faire ? C’est la nuit et j’ai rien !


Décidant d’en recourir à la demande
J’adresse mon air perdu à une grande
Qui me répond un truc incompréhensible
Et me dirige vers d’autres cibles
Je sollicite un second bonhomme
Avec mes quelques mots "at home"
C’est sans succès ou alors un coup monté
Allons nous asseoir et respirer


Une heure passée sur le trottoir
Avec la pluie comme arrosoir
Me voilà trempé jusqu’à la moelle
L’espérance rangée au fond de la malle
Au moment où je gueule mon infortune
Un gars au genre plutôt louche
S’approche en demandant "donde vas esta noche ? "
Soit en bon français "quand est-ce qu’on couche ?"


Ben ça alors, c’est du direct !
Y’a pas marqué "je préfère les mecs"
Va falloir faire vraiment gaffe
Ca m’a tout l’air d’une sexuelle menace
"J’attends le bus, je dors nulle part"
Ce qui est un peu vrai quelque part
Et le voilà qui se fout de moi
En souriant d’ici jusque là


Imagine ce que ça peut faire
Ce genre de rencontre à ne pas faire
Lorsqu’on en peut plus, qu’on est au bout
Qu’on ne croit plus en rien du tout
Le gars me dit "veni amigo"
J’ai compris "donne moi tes euros"
Et dans ces conditions in extremis
Je lui tend mes billets de dix


Ensuite je n’ai pas tout bien suivi
Il m’a dit encore une fois "veni"
M’a pris la main et on a marché
Jusqu’à une petite cabane chauffée
Tout s’est passé tellement vite
Durant cette agression subite
Que j’ai fait tomber en chemin
Mon guide, mes euros et mon calepin


Il s’est passé plein de choses
Mais la suite relève de toute autre chose
Ce gars et ma nuit de galère
Sont loin d’avoir été ordinaires...


D’autres étaient là dans la cabane en bois
Assis par terre, autour d’un plat
Sur une couverture de laine claire
Femmes et enfants, les yeux grands ouverts
Je m’asseois dans la ronde
On ne m’a plus quitté une seconde
Moi l’étranger à qui arrive le pire,
Comment font-ils pour me sourire ?


Même les mômes ont demandé en anglais
Qui j’étais, d’où je venais
J’admirais leurs regards bleus
Ils me regardaient dans les yeux
Mes mots, mes mains les faisaient rire
Je ne pouvais que répondre en sourires
A leurs visages et leurs gestes doux
Je les admirais par dessus tout


La soirée aurait pu durer l’éternité
J’aurais pu aisément tout oublier
Du pire de mes tourments de la veille
Jusqu’à ma famille en France à Créteil
La nuit fût comme le jour, détraquée
Plus de pluie froide et glacée
Mais un flot de choses tendres
Si simples et douces à apprendre


Puis Zora qui amène du thé au matin
Un ange qui passe en clandestin
Zuming annonce qu’il voudrait écrire
Sur le monde meilleur qu’il désire
Posément il m’a dit en substance
Des trucs un peu au delà de ma conscience
Compliqué certes mais plutôt original
Je me souviens du principal


Il causait de la peur des gens
D’une double vie vécue secrètement
L’une qui fait de nous des cadres
Motivés, déterminés, sympas, comptables
Pas bêtes, pas tout à fait responsables
L’autre qui nous envoie dans les îles
Pour trois semaines loin des villes
Découvrir le monde en mode sensible


L’une qui accepte, qui dit d’accord
L’autre qui fuit, qui cherche les accords
Pourquoi pas disait-il, mais une vie
Découpée en rondelles, petit à petit,
C’est une vie qui se coupe les veines
Qui nous oblige à la quarantaine
Pourquoi ne vivre qu’avec la pluie
Quand il y a du soleil mon ami ?


C’est quand il a dit ça que j’ai compris
Avec l’histoire du soleil et de la pluie
Le reste m’échappe un peu je dois l’avouer
Mais moi qui fût perdu, affaibli, trempé

Livré au doute, à une déroute sans répit
Qui ai connu le risque, l’inconnu et la pluie
Tout cela si loin de Créteil
Je suis récompensé de trouver le soleil


Ma frayeur s’est changée en camaraderie
Ma méfiance est presque anéantie
Ma peur devient admiration
Et cette rencontre une vraie inspiration
Elle a changé mes idées et mes sensations
J’ai comme envie de changer de saison
Fini les vacances, faut que je me débrouille
Pour faire de ma vie une grande vadrouille








Puerto San Julian - Patagonie - Argentine. Le 7 avril 2006.













Mots-clés

Aire géo-culturelle: Amérique du Sud
Catégorie d’acteur: Voyageur
Traversées - http://www.traversees.org
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