Augustin : prof de math et homme d’intérieur

En ce 30 septembre, les enseignants effectuent leur pré-rentrée dans tous les bahuts du Bénin. C’est le cas d’Augustin Attoulou, professeur de mathématiques au collège d’Afrique de Cotonou. Ayant planté notre camp de base dans le même collège, nous le croisons, en impromptu, au beau milieu de l’après-midi, avec un livre de philosophie à la main. Intriguant pour un matheux non ?



Après simplement deux questions, Augustin se lançait déjà dans la confidence avec des propos très personnels, enracinés dans ses convictions. Il s’exprimait facilement, dans un flot quasi continu qui ne s’arrêtait de temps à autre que pour reprendre du souffle et se laisser guider dans une nouvelle direction. Laissons donc ses paroles jouer comme les notes d’une portée musicale : avec des silences, des points d’orgue, des pianissimos, des crescendos, mais sans interruptions...


« J’étais enseignant en Côte d’Ivoire il y a un peu plus d’un an. Je suis revenu au Bénin, mon pays d’origine, comme beaucoup d’autres émigrés béninois en raison des instabilités politiques de la Côte d’Ivoire que tout le monde connaît. La situation y était alléchante avant les conflits car l’on pouvait plus facilement gagner sa vie là-bas. Depuis, l’économie du pays en a pris un coup sérieux.
J’en suis revenu dans tous les sens du terme ! J’ai pris beaucoup plus de distance avec le matérialisme et l’attirance de l’argent pour me recentrer sur des choses plus spirituelles et essentielles qui me sont venues de l’intérieur. Vous voyez d’ailleurs le bouquin que je tiens à la main !? C’est un bouquin de « spiritualité » en quelque sorte, qui parle de nos attitudes par rapport à la vie (le résumé de l’ouvrage, écrit par un auteur roumain, évoque la nécessité d’avoir une attitude positive, active vis à vis de soi-même pour pouvoir avoir une action bénéfique et active sur le monde).

Ces changements personnels me font penser désormais que l’amour est la plus grande force sur cette planète. Pourquoi ? Parce que le don de soi, qui est un acte d’amour, procure un sentiment très fort et très positif en soi. Encore faut-il se trouver dans une disposition intérieure pour pouvoir éprouver cela, mais j’y crois réellement. Je crois aussi que « le point de départ de la fortune, ce sont les idées ». C’est à un américain, Napoleon Hill, que j’emprunte la formule. Ce qui veut dire pour moi que tout ce qui est don, transmission, échange, lesquels se retrouvent dans l’amour, l’amitié, et l’enseignement prennent une importance majeure. D’ailleurs dans ce que vous faites, dans votre traversée j’entends, n’y a-t-il pas de cela ?


J’ai pris conscience de tout ceci quand j’étais en Côte d’Ivoire. J’avais un certain confort, des biens, ma famille. Mais malgré cela, je ne me sentais pas complètement satisfait en moi-même. Je trouvais ce soi-disant bonheur fugace et futile. Je sentais encore des cases vides ! Et je me suis mis à enquêter sur ce vide. J’ai eu envie d’apprendre sur moi-même et j’ai découvert que mon attention se portait trop souvent à rechercher des satisfactions en dehors de ma personne. Je connaissais mal la joie de donner aux autres et de recevoir de leur part. Je le vivais en partie bien sûr, mais dans un rapport et une intensité différents de ceux d’aujourd’hui. Ce vide m’a conduit à penser qu’il y avait quelque chose pouvant aller au-delà de la possession et du bien-être matériel. Cette démarche spirituel n’a pas du tout été religieuse.


Alors je me suis mis à lire et je suis devenu sensible à d’autres relations : avec moi-même, avec les autres et le reste du monde. Du côté de la société, je pense que le modèle capitaliste qui nous domine, va échouer. Il ne va pas disparaître mais il va échouer à cause du vide et de la rareté qu’il crée. Il y a un monde en graine que nous ne voyons pas mais qui germe, comme lorsque vous avez une graine de manguier entre les doigts : quand vous la coupez en deux morceaux, vous ne voyez pas le manguier qui en naîtra mais pourtant la graine contient un être en germe. Et je crois que nous cultivons cette graine grâce à la sève du mouvement alter-mondialiste qui s’active ça et là. Le capitalisme, qui reste pour beaucoup le plus court chemin pour le bonheur et le bien-être, crée finalement beaucoup de vide en nous-même. Beaucoup sont heureux en évoluant dans les modes de vie qui font bon ménage avec le confort matériel, mais il demeurera toujours un vide à mon sens. Celui que j’ai éprouvé. Celui du donner, du recevoir, de l’échange, des valeurs et des actes qui se définissent plus par l’être que par l’avoir.

Ainsi, puisque que vous me parlez de changement social et de modifier le cours des choses, je pense qu’il faut parier sur l’intériorité, sur le changement de l’intérieur pour que les modes de vie soient plus dans l’être, et miser sur ce que cela peut engendrer sur le plan collectif en terme de répartition des richesses et des solidarités locales et transnationales. Pour cela, il me semble essentiel de s’interroger sur soi, de relier notre dimension corporelle, ce que je ressens, ce que je touche, à notre dimension spirituelle, celle des idées et de la pensée, et de les mobiliser dans un désir et un projet de vie.

Dans mon enseignement, même en mathématique, j’essaye de dire à mes élèves d’être attentif à leur propre nature, à leur pensée, aux relations qu’ils cultivent avec les autres. J’essaye de travailler avec de l’intérêt et de l’amour. C’est d’autant plus nécessaire car notre enseignement a tendance à sectionner les choses par discipline et par matière, ce qui ne permet pas de voir les relations au sein d’une réalité qui, elle, se tient d’un seul tenant. Il faut éduquer les jeunes à être, en s’appuyant sur l’enseignement d’une éthique, de valeurs, et de devoirs, sur la compréhension humaine et sur l’apprentissage des relations. Et puis mettre en pratique effective ces valeurs dans nos apprentissages, ce qui n’est pas un petite affaire !!


Mon idéal en ce qui me concerne, serait de tendre vers un modèle qui puisse faire passer des sentiments, des valeurs positifs chez ceux que je croise et que je côtoie.

Ici au Bénin, je voudrais faire en sorte de changer les mentalités ! Je trouve que nous sommes trop négatifs. Nous pensons trop à nous-mêmes. Nous semblons nous complaire dans une dépendance ombilicale vis à vis de ceux qui nous aident. Les professeurs pour les étudiants, les institutions financières internationales et l’Europe pour les Ong... etc

Je crois aussi que le monde deviendra une grande famille, que chacun, quelle que soit sa couleur, se comprendra par et à travers le regard de l’autre. Comme ce qui peut se passer au sein d’une famille d’ici ou d’ailleurs, dans laquelle tous se parlent avant tout par et avec le coeur et où le changement voit le jour de l’intérieur ».








Cotonou - Bénin, le 30 septembre 2004





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