Le Mali rêvé d’Aminata Traoré

Nous sommes en 2015, en pays dogon, chez Altina. Le ciel bleu indigo est perlé d’étoiles qui, de leur lumière, inonde les falaises, les plaines, les vallées ainsi que les coeurs. Les anciens racontent que par le passé, le ciel n’était pas si haut et que les femmes pour amuser leurs enfants cueillaient les étoiles...


...pour les leur offrir. De fait, que ne ferions nous pas pour eux ? Ici, une femmes qui a des enfants se sent riche. Procréer, c’est survivre à soi-même, assurer la pérennité du groupe, vaincre la mort. D’où l’insupportable douleur d’Altina après la perte de ses deux enfants.
Les espaces de dialogue et d’éducation civique, économique et politique existe dans chaque localité ; les échanges de vues ont lieu, la plupart du temps dans les langues nationales. Ils permettent à l’ensemble de la population, notamment aux femmes, aux jeunes et aux ruraux, de s’imprégner de l’état des lieux, de connaître les acteurs, les rôles et les responsabilités. Chacun peut exprimer son point de vue et participer activement aux prises de décision.

Dans toute les communes, les liens se consolident entre les individus et au niveau des communautés. Il se crée un environnement social et politique favorable au retour et à la réinsertion sociale et professionnelle de ceux et de celles qui avaient dû partir. Le mari d’Altina qui a voulu faire fortune à l’étranger mais n’y est pas parvenu, est de ceux là. Avec sa femme, ils ont regagné Songo, leur village. Ils n’ont pas d’argent, ils ont perdu deux de leurs enfants, mais ils ont appris pour eux-mêmes, pour celles et ceux qui sont restés au village et pour les générations futures. Ils n’auront pas souffert en vain.
Le village, qui, en leur absence, a subi la sécheresse et l’invasion des sauterelles, sait désormais comment combattre le SIDA, le paludisme et d’autres maladies endémiques. Les limites de l’initiative PPTE (pays pauvre très endetté) ont été reconnus et ont amené gouvernants et gouvernés à la remettre en question.

Par affinité, des groupements se constituent et les associations existantes sont redynamisées. Dans les assemblées locales, les relations entre hommes et femmes, jeunes et vieux, entre ethnies et relations différentes sont réexaminées, les préjugées sont combattus, les discriminations découragées et les conflits désamorcés. Le travail est réhabilité dans le cadre de l’économie réelle, celle qui permet aux populations de tirer de leur environnement tout en le ménageant, les biens nécessaires à la satisfaction de leurs besoins. Les champs, les pâturages où paissent les bêtes, les cours d’eau, les forêts, les jardins potagers offrent céréales, tubercules, viandes, lait, poisson, fruits et légumes en abondance. La productivité est accrue grâce à l’exploitation effective d’acquis scientifiques et technologiques à faible coût respectueux de la santé et de l’environnement.

L’accès à l’éducation, à la formation professionnelle, aux soins de santé et à l’eau potable est garantie par un Etat reconsidéré, devenu bon gestionnaire, employant des travailleurs motivés car mieux rémunérés et jouissant de leurs droits. La contribution des communautés au coûts des services est calculée en fonction de leurs moyens. Les nouveaux emprunts de l’Etat et leur allocation sont décidés en toute transparence et gérés rigoureusement par des dirigeants désormais conscients que, parvenus à un certain niveau de maturité politique, la société civile peut sanctionner leurs choix et leurs actes par le vote. Et, de fait, les membres de la communauté, en citoyens averti, savent décoder les mots-clés et réfuter les mots d’ordre. La dilapidation des ressources dans des dépenses de prestige (châteaux, monuments, manifestations grandioses) est vivement critiquée et découragée par la société civile et la presse. Laquelle joue son rôle sur la base d’informations vérifiables et crédibles.

Les populations vivent et travaillent dans un environnement sain depuis que le lien entre le manque d’hygiène et certaines maladies a été clairement établi et rendu public. Grâce à l’information et à l’éducation, les campagnes de vaccination, massives et systématiques, ont permis de sauver des centaines de milliers d’enfants.
Périodiquement, villages, quartiers et lieux de travail sont assainis, les collectivités locales assistent les populations dans la collecte et l’évacuation des déchets. Ceux-ci sont triés, recyclés ou éliminés. Les arbres sont entretenus, de nouveaux pieds sont plantés. Les habitations font l’objet d’entretiens saisonniers, les édifices publics comme les maisons de particulier sont bâtis avec des matériaux adaptés et bon marché grâce à des architectes qui valorisent les savoir-faire locaux en étroite collaboration avec les maçons, les menuisiers, les forgerons. Les infrastructures - routes, barrages, ponts, aéroports, bâtiments publics - sont bien entretenus et réhabilités en raison de leur appropriation par les populations, maintenant au fait de leur importance, de leur coût, de leur mode de financement et des modalités de leur remboursement.
Les nations riches, le FMI, la Banque mondiale, et l’organisation mondiale du commerce - ces trois institutions ayant été réformées - ont enfin pris conscience de la gravité de la situation dans l’hémisphère sud et plus particulièrement en Afrique. Les maîtres du monde perçoivent maintenant clairement l’effet boomerang des choix macroéconomiques qu’ils imposent au reste de la planète. Leur pouvoir est d’autant plus limité que les citoyens et citoyennes du Sud savent évaluer et éventuellement dénoncer leurs actions.

Un secteur privé national et régional émerge dans le cadre de l’Union africaine et de programmes de développement largement concertés et réellement profitables au plus grand nombre. Il n’est pas inféodé au capital mondial ni gangrené par la corruption ou la politique politicienne. Le souci de promouvoir la production et l’emploi dans le respect de l’environnement et des écosystèmes l’emportent sur la course au profit. Les consommateurs africains sont informés des enjeux économiques, sociaux, politiques et écologiques des choix qu’ils opèrent. Les nouvelles technologies de l’information, au lieu d’ajouter à l’aliénation et à la surconsommation, servent ce projet global de libération de l’Afrique. Au lieu de faire miroiter des modes vie inaccessibles et qui frustrent les jeunes, elles véhiculent des connaissances qui répondent aux besoins réels de toutes les couches sociales, contribuent à affermir leur maturité politique.

Altina n’était pas à Porto Alegre en janvier 2001. J’y suis allée pour moi, mais aussi pour elle et ses semblables. M’avait-elle mandatée ? Elle l’aurait fait, j’en suis persuadée ? Si elle avait su que notre destin de femmes, qui se confond avec celui de nos enfants, de notre pays et de notre continent est scellé au niveau du G8 et des institutions de Bretton Woods.



Extrait de l’ouvrage d’Aminata Traoré « Le viol de l’imaginaire » pages 197 à 201 - Hachette littératures - Fayard / Acte Sud - collection Pluriel actuel (Paris - mars 2004).


Aminata Traoré a été ministre de la Culture et du Tourisme du Mali et impulse fortement le mouvement social luttant en faveur d’un développement responsable et solidaire de l’Afrique.


Compléments :
- le portrait d’Aminata -> à venir





Douentza - pays dogon - Mali, le 27 juillet 2004






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