Foi, dialogue et rencontre avec le « père blanc » Alain Fontaine

Séduit par la dévotion des croyants qu’il rencontre au Mali lors de son devoir militaire dans les années 70, Alain Fontaine décide de devenir prêtre et c’est avec les missionnaires catholiques du Mali, les Pères Blancs, qu’Alain Fontaine vit les prémices de son engagement religieux. Une rencontre initiale qui depuis lors se multiplie avec la foi et le dialogue pour dénominateur commun.


D’abord enseignant dans un collège catholique, puis dans un séminaire, il s’installe cinq ans après comme prêtre dans une paroisse du Mali et éprouve la nécessité d’apporter son énergie et ses croyances au service du monde qui l’entoure, le monde paysan. Nous sommes au Mali et les radios communautaires sont à cette époque en plein essor.

« Au sortir de mes cinq ans en paroisse en 1994, j’ai contribué sur Parana à créer une radio rurale et un centre de documentation sur le développement rural mettant à disposition des ouvrages, brochures et vidéos et équipé d’une salle d’hébergement qui permettait d’animer au besoin des formations. Tout cela permettait de faire tourner financièrement la radio. Mon travail consistait à former les techniciens de la radio. Radio France Internationale nous a beaucoup aidé pour former les animateurs radio. J’ai aussi formé des gens sur la partie édition. Cela a duré six ans. Ce qui nous amène à l’année 2000 et à cette date, je prend conscience que la rencontre des diverses religions présentes au Mali (musulmans, animistes et chrétiens) n’est pas évidente et qu’il serait possible de tirer partie de la diversité religieuse. Nous nous mettons alors en route pour créer le centre Foi et rencontre à Bamako.


Pourquoi ici au Mali et à Bamako ? Y avait-il un contexte ou une nécessité particulière ?

Le choix du Mali est assez simple : en Afrique francophone, le Sénégal accuse une présence trop dominante, dans tous les sens du terme, de la communauté maurides. En Mauritanie, ça n’était pas évident politiquement de même qu’au Burkina Faso. Le Mali est un pays très ouvert car les musulmans sont très présents (à 80 %). Les chrétiens sont minoritaires (1%). Il faut voir que l’islam ici est un islam de confrérie dont les « grosses branches » sunnites et shiites sont absentes. On voit surtout des familles religieuses qui se réunissent autour des marabouts.

Le centre a été créé par les missionnaires d’Afrique et le diocèse de Bamako dans le but de favoriser le dialogue entre les religions c’est à dire entre les musulmans, les chrétiens de différentes confessions, les croyants de religions traditionnelles et également les adeptes des sectes ».


Alain Fontaine met de plus en plus de résolution et de vitalité dans ses propos. Sans doute se rapproche-t-on d’un sujet essentiel, d’un noyau d’idées logé au coeur dont l’expression ne peut se faire sans y mettre des gestes, des mouvements accordés aux idées et des regards portés par les mots qui collent le plus à la pensée de notre homme de religion. Nous demandons à notre « père » conteur d’expérience, assis à nos côtés dans la salle de repos retranchée des va-et-vient des pensionnaires de la mission catholique de Bamako, de nous éclairer sur le sens qu’il donne au dialogue religieux.


« Si l’on se remémore l’Evangile, on peut voir tout d’abord que Jésus s’est approché des autres religions. Cela fait donc partie de notre foi d’aller à la rencontre de l’autre.
Ensuite au Mali, comme je vous le disais précédemment, nous sommes vraiment dans un pays de croyants où l’on voit une cohabitation naturelle des familles religieuses. Ce pays est remarquable de tolérance et d’harmonie religieuse. Avant d’être chrétien ou musulman, on est d’abord voisin. En 35 ans, je n’ai jamais vu un musulman qui m’ait fait une réflexion désagréable. Ce n’est pas le cas partout : en Inde à Bombay, je recevais des cailloux dans la figure ! A mon sens, cela provient de valeurs traditionnelles. La constitution malienne est certes laïque mais elle n’explique pas tout à elle seule. Les maliens savent dédramatiser les choses avec humour selon le mode de la palabre africaine. L’humour et la convivialité permettent aux gens de conserver leur dignité. C’est le « senenkuya » : cela signifie que l’on a des plaisanteries qui désamorcent toute agressivité. Le djatiguya, définit l’hospitalité : quelqu’un vient chez toi, tu l’accueilles. Ces valeurs sont très fortes et j’imagine que vous avez sans doute déjà entendu un « vous êtes invité » lancé par quelqu’un déjeunant dans un restaurant de la ville !? Ces moeurs sont ancrées à un point tel que la Coupe d’Afrique des Nations de Bamako de février 2002 a vu ses supporters être accueillis dans les familles ! N’est-ce pas là un beau symbole de dialogue ?

Enfin, il me semble que nous pouvons nous nourrir de la foi des autres. Ce que croient les musulmans est différent de mes propres croyances et de ma foi et je crois qu’il faut éviter d’avoir un discours « lisse » et se dire que toutes les religions se valent. Ce n’est pas exact. Il faut prendre conscience que l’on peu choquer avec certaine expression : si je dis Marie mère de Dieu, c’est un choc pour un musulman. Une femme ne peut pas être mère de Dieu dans le Coran. Il dont faut donc donner un sens pour éclairer le sens des paroles religieuses. Nous n’avons pas la même relation à Jésus, à Mohammed, à Dieu et c’est cet éventail de relations qu’il s’agit d’apprendre à respecter. Les conflits religieux viennent notamment du fait que les gens ne sont pas suffisamment enracinés dans leur propre foi. Certains utilisent le religieux pour servir leur cause. Vous en connaissez les conséquences. Sur la scène politique, Bush est venu comme un cow-boy pour chasser Saddam sans aucune compréhension des réalités culturelles et religieuses. Jean XXIII écrivait : il n’y aura pas de paix, si on entretient la psychose de la guerre. Effectivement, aujourd’hui, ne trouvez-vous pas que l’on entretient largement cette psychose ? On développe un regard malsain et dévalorisant de l’autre, au lieu de cultiver un regard positif. J’ai décidé de m’engager dans ce sens là et je pense que c’est l’amour qui peut changer la face du monde. C’est une goutte d’eau mais si je ne le faisais pas, elle manquerait dans l’océan. C’était la parole de mère Théresa.
Les manipulations de ce genre ne font pas bon ménage avec la compréhension réciproque des aspirations spirituelles qui elles demande liberté, conscience de sa propre foi, ouverture et écoute.

Certains musulmans par exemple se plaignent de ce que leur foi n’est pas nourrie suffisamment par les Imams. Ils viennent me voir avec une quête d’approfondissement et je tente de les encourager dans cette direction. La foi progresse lorsque l’on se met à échanger et à dialoguer. Il faut savoir approcher l’autre, ne pas avoir peur de lire des ouvrages, de se confronter à autrui et immanquablement à soi-même. Ce dialogue est gênant parfois car il est troublant, interrogateur, propice à l’effacement des certitudes. Tout est question de relation : à partir du moment où nous sommes en relation véritable avec l’autre, l’étrangeté se change en amitié. Mon rôle est là : créer des ponts, faire découvrir et connaître les réalités. Pour moi, l’amour prend le pas sur tout et relie les divergences. Ma vie nourrit, s’approvisionne et se met à la poursuite de ce fil rouge.


Après ce détour passionnant et incontournable par ta foi et tes convictions, peux-tu nous en dire plus sur le projet du centre Foi et rencontre ?

Le centre est un lieu d’échange de savoirs et de réflexions et d’éducation. Nous essayons de nous retrouver et d’échanger nos points de vue et nos expériences entre prêtres, théologiens, scientifiques et croyants. Récemment par exemple, nous avons reçu une chercheuse franco-américaine du Centre national de recherche scientifique (CNRS) étudiant l’enseignement de l’islam au Mali.
Nous essayons également d’apporter une éducation religieuse en permettant aux croyants d’améliorer la connaissance de leur foi : beaucoup de chrétiens ne se sentent pas suffisamment au fait de leur foi et craignent de ne pas pouvoir répondre aux questions qu’on leur pose.

Le centre fournit également de l’information et de documentation. Nous venons de faire une plaquette qui compile des prières de toutes les confessions religieuses s’adressant au Dieu unique. Elles peuvent être priées par un chrétien, un musulman, un religieux traditionnel. C’est une occasion d’inciter les pratiquants à prier ensemble. Nous savons que beaucoup de chrétiens ont des amis musulmans, mais leur discussion ne vont pas forcément au niveau de la foi. Nous aimerions aussi animer des conférences et des débats publics pour favoriser ces discussions.


Nous aurons par ailleurs une belle opportunité dans le futur proche : il y a sur Rome un Institut pontifical pour les études d’islamologie et d’arabe dont le but est de former les gens à une meilleure connaissance de l’islam pour ceux qui vont travailler dans les pays musulmans. Ce type de centre existe déjà en Algérie, au Tchad et au Sénégal. L’institut a décidé depuis une dizaine d’années, d’offrir une année de formation simplifiée sur la connaissance de l’islam. De plus en plus d’africains venaient dans ce centre et cela devenait très compliqué de déplacer les personnes vers l’Europe. Il a donc été décidé de le délocaliser en Afrique, notamment à Bamako chez les francophones et à Nairobi (Kenya) pour les anglophones. C’est un projet prévu pour 2005-2006. Il se fera ici sur Bamako. Les évêques y ont répondu très favorablement. Cette structure sera indépendante du diocèse et notre centre Foi et rencontre sera amené à travailler avec eux ».




Quelques compléments :
- "Les tendances actuelles de la pénétration de l’Islam en Afrique subsaharienne"- note de travail du centre Foi et rencontre (format PDF - 135 Ko) -> télécharger
- Dialogue inter-religieux et enjeux actuels - note de travail du Centre Foi et rencontre (format PDF - 120 Ko) - télécharger
- le cahier de propositions du collège interreligieux de l’Alliance pour un monde responsable pluriel et solidaire (format PDF - 250 Ko) - télécharger
- une sélection de fiches d’expériences sur le thème "Religion et construction de la paix" (format PDF - 300 Ko) -> télécharger




Bamako - Mali, le 14 juillet 2004






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