Deyda pour la liberté d’expression

Le hasard ou les coïencidences font parfois bien les choses. Lorsque nous prenons contact avec Deyda Hydara, rédacteur en chef du quotidien The Point Newspaper, le travail vient tout juste de reprendre après une fermeture de huit jours provoquée par un désaccord entre les médias et Yaya Jameth, le Président de la Gambie.


Nous nous opposons à la volonté de main mise de l’Etat gambien sur le contrôle des médias, tous les médias, la presse écrite y compris. C’est une loi qui a été votée par le Parlement. Or cette loi est en contradiction avec la loi fondamentale de ce pays, la Constitution gambienne, qui autorise et protège notamment la liberté d’expression de chacun, et la liberté d’expression de la presse. Or cette constitution ne peut être modifiée que par référendum. Mais ça n’a pas été la voie choisie par le gouvernement. Il a voulu passer en force, ce qui n’est pas possible dans un pays démocratique.


Ce type de manoeuvre de la part du gouvernement pour museler la presse est fréquent ?

Les conflits entre presse et gouvernement existent depuis toujours en Afrique. Il y a toujours des tentatives d’intimidation des gouvernements sur les organes de presse suite à la parution d’articles les attaquant ou remettant en cause leurs politiques. Nos dirigeants sont élus par le peuple, pour le bien du peuple et redevable de leurs actes devant ce même peuple. Donc, il est tout à fait normal de remettre en cause, poser des questions sur leur choix politique. Mais c’est loin d’être simple, les informations sont difficiles à obtenir. Par exemple, il n’est pas rare que le gouvernement interdise aux officiels de parler au nom du gouvernement sans une autorisation spéciale. C’est déjà une forme de censure. C’est déjà un obstacle à la liberté d’expression individuelle et un obstacle à l’accès à l’information.

Les gouvernants africains sont de plus en plus nerveux avec la presse. Une presse d’avant-garde leur pose des problèmes. Dans le cas du Point, nous n’hésitons pas exposer les cas de corruption par exemple, qui deviennent presque institutionalisés aujourd’hui et à tous les niveaux des organes administratifs ou politiques. Le marasme économique dans lequel sont plongés la plupart des pays africains et la dette qui ne cesse de les étouffer font qu’ils n’aiment pas que la presse leur demande de rendre compte de leurs actions. Par exemple, depuis un an, le dalachi (la monnaie nationale) a perdu 200 % de sa valeur, tandis que les prix du marché restent les prix du marché. Ce qui diminue de façon dramatique le pouvoir d’achat de la population. Nous avons parlé de cela et ça a déplu.


C’est donc une attaque directe à une liberté fondamentale, la liberté d’expression. Quand tout ça a-t-il commençé ?

En avril de cette année, nous avons reçu un préavis émanant du gouvernement nous demandant de nous inscrire à une nouvelle commission des médias que le gouvernement souhaitait mettre en place. Ce préavis nous informait que si on ne s’inscrivait pas avant le 5 mai, on menaçait de fermer notre boutique. Or, nous ne pouvons pas nous inscrire dans une commision nationale émanant d’une loi qui viole notre constitution sur 17 dispositions. Une commission dont les responsables sont les représentants des conseils religieux (islamique, chrétien), du conseil de la jeunesse du parti au pouvoir, du conseil des femmes du parti au pouvoir, soit des individus qui sont obligatoirement contre nous puisqu’ils ont tous plus ou moins de façon directe des liens avec le pouvoir en place.

Nous ne refusons pas une commission nationale des médias, mais nous réclamons une commision qui joue le jeu et qui serait composée notamment de professionnels de la presse. Au Sénégal, on vient de mettre en place une commission nationale de la presse. Cette commission est constituée principalement de journalistes. Alors qu’ici on ne compte qu’un seul journaliste. Tous les autres sont copains avec le régime actuel. Ce n’est donc pas une commission qui vise à faire progresser la diffusion de l’information mais au contraire à la limiter. C’est une commission beaucoup trop politique. Imaginez : demain, je fais un article sur le Président, rien de bien méchant mais qui ne lui plaît pas, l’année prochaine je peux me voir retirer ma licence de presse et ne plus pouvoir travailler.


Quels sont les rôles et pouvoirs de cette commission ?

Cette commission établira chaque année la liste de ceux qui sont autorisés à travailler en tant que journalistes ou éditeurs ou producteurs d’émission de radio ou présidents de chaînes télévisées. Chaque année. La carte de presse dont nous disposons aujourd’hui est une carte de presse qui est attribuée une fois pour toute. Cette commission pourra également prendre des sanctions sur un organe de presse si elle le juge destabilisateur pour le régime. Un article un peu ironique sur le Président ou un de ses Ministres, un article posant des questions sur une de ces interventions, celui-ci saisit la commission en précisant que ce type d’article l’empêche de faire convenablement son travail, et cela peut suffire à vous interdire de travailler ou de publier pendant trois semaines. Et au-delà de tout ça, on peut très bien imaginer qu’une deuxième sanction de ce type peut vous interdire définitivement de vous exprimer. C’est un bon moyen de destabiliser la presse sur le long terme. Au pire on vous fait fermer votre journal.


Quelle stratégie poursuit le Gouvernement en décidant la mise en place de cette commission ?

C’est très simple et ce n’est pas nouveau : empêcher la population d’accèder à l’information, à une information de qualité et objective. Nous nous efforçons de donner à la population les moyens de faire les bons choix de comprendre ce qui se joue aujourd’hui dans notre société, dans le monde. Ce sont les citoyens qui ont le pouvoir final de décision, c’est notre devoir de les impliquer dans la vie politique, dans la recherche de nouvelles formes de gouvernance. C’est ce que nous essayons de faire ressortir dans notre journal.

Mais nous sommes confrontés à un obstacle de taille : la majeure partie de la population est illettrée en anglais. Par le passé, une radio « Citizen FM » a été obligée de fermer parce qu’elle traduisait les articles de journaux en wolof et en mandingue. Cette radio encourageait même les enfants à traduire les journaux à leurs parents, leurs grands-parents.

Pendant cette période, nous avons fortement pensé à faire un complément internet de notre journal. C’est un bon moyen de combattre la censure en Afrique.


Et quelle a été la réaction des organes de presse suite à l’annonce de la loi ?

Six médias se sont mis ensemble pour contrecarrer cet objectif dont The Point. Nous n’avons tout simplement refusé de nous inscrire. La date butoire avait été fixée au 5 mai, et après un premier refus, elle a été reportée au 14. Mais le lendemain du 5, je me suis rendu compte qu’en cas de refus de collaboration avec une décision de l’Etat, on pouvait être porté au tribunal et être taxé d’une amende minimale de 5000 dalachis (200 euros) et que si on ne pouvait pas payer l’amende, on nous obligerait à fermer le journal ou la radio pendant 18 mois. Mais accepter aurait été servir les oppresseurs, cautionner la démarche ! C’est pourquoi nous avons décidé le 14 mai de saborder, et nous avons fermé nos boutiques nous-mêmes en faisant grève. Et nous avons repris le boulot hier !!! On a reçu des menaces anonymes, des émissaires sont venus discuter avec nous plusieurs fois. Finalement, tout a été reporté au mois d’août, le gouvernement nous accordant trois mois pour répondre favorablement. Nous ne savons pas ce que ça va devenir... Nous espérons que les prochaines éléctions en 2006 pourront nous apporter des réponses plus acceptables. L’opposition qui jusqu’à aujourd’hui était divisée semble se retrouver. C’est une bonne chose que ce pays puisse disposer d’une force d’opposition et de proposition digne de ce nom.

Pour l’instant, un seul média national a accepté la commission : le Daily Observer. Son propriétaire est un des barons du régime.
Reporters sans frontières, l’International Press Institute nous suivent dans cette histoire depuis deux ans maintenant. Media foundation for west africa nous encourage à poursuivre aussi. Différentes organisations de médias internationales ont étudié les conditions légales (notamment la Charte africaine des droits de l’homme qui a été ratifiée par la Gambie) et ont dit que tout ça était illégal. Nous avons également utilisé l’internet pour faire connaître notre démarche.


A part ces organismes, est-ce que tu t’impliques dans des réseaux internationaux ?

J’ai participé à Mumbai, c’était formidable ! J’entendais parler de l’Inde depuis longtemps. Je ne savais pas qu’il y avait 200 ou 300 tribus différentes là-bas. Tout se monde, toutes ses socio-cultures différentes se sont retrouvées à travailler ensemble sur leur émancipation. Les gens se sont rapprochés et on pu s’exprimer par une seule voix. Dans les ateliers, les participants se levaient et défendaient leurs idées pour leur communauté et l’humanité toute entière. Dans l’enceinte même du congrès, c’était difficile de se déplacer mais il y avait un esprit pacifique et d’entraide. Tout ce beau monde s’était retrouvé pour un monde meilleur, pour la construction d’un monde meilleur. Il faut rêver et s’investir pour un meilleur monde. J’ai participé parce que je me suis dit que ma présence contribuerait peut-être à aider à changer les choses, à aider à engager le monde sur la voie du changement. J’y suis resté les dix jours.

Au retour, dans notre collège média ici en Gambie, nous avons organisé un séminaire sur l’après-Mumbaï. Nous avons parlé des idées qui ont été abordées et discutées là-bas. Il faut que notre collège média en local puisse également s’ouvrir aux débâts qui ont eu lieu là-bas, dans le cadre du forum social mondial. C’est un collège qui s’intègre dans le réseau Gouvernance Afrique à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest.

Dans le cadre de ce collège, nous organisons des séminaires pour discuter des problèmes de gouvernance, à toutes les échelles, en mettant l’accent sur la nécessité de laisser l’homme maître de sa destinée par sa participation dans l’élaboration des politiques et dans la prise de décisions. Ce sont des échanges intéressants et nécessaires. Nous échangeons les expériences, partageons les réflexions. Nous envoyons des fiches d’expériences qui sont mises en ligne sur le site Gouvernance Afrique et les participants peuvent réagir. Nous parlons de ce réseau dans notre journal. Mais pour pouvoir faire plus il nous faudrait des moyens pour organiser des ateliers, regrouper des gens, les loger, imprimer des propositions, les faire traduire.

Je suis très intéressé par l’idée d’un collectif de médias indépendants recherchant à s’impliquer dans les défis contemporains.




Deyda Hydara est convaincu que cet amour pour le journalisme remonte à son plus jeune âge et que ce sont les heures passées chaque matin avant d’aller à l’école, l’oreille collée à son transistor pour écouter la radio Transafricaine de la BBC, qu’ils l’ont définitivement engagé sur cette voie. Il a d’abord été directeur d’une radio, puis journaliste de presse à partir de 1970. En 1974, il a rejoint l’Agence France Presse d’où son français parfait.



- Reportage consacré à l’actualité de The Point Newspaper réalisé par Traversées, le 22 mai 2004 (format WMV - 14 Mo) -> télécharger


- L’article consacré à Traversées paru le mercredi 26 mai 2004.


Fajara / The Gambia, le 21.05.04.
Traversées - http://www.traversees.org
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