Sur une ligne de bitume entre Agadez et Niamey

Mille bornes de bitume lisse filent vers le nord d’Agadez à Niamey. Le soleil surchauffe et écrase tout : la moindre brindille, les pierres brunes, l’eau, l’air et la ligne d’horizon. La langueur a pris toute la place, tout notre temps. Ce long morceau de bitume est la seule ligne à défier l’horizon.



Il enjambe l’herbe blonde
Les acacias, l’ocre bouillant des latérites
Il disparaît derrière les cimes
Et s’enfouit dans le lointain





















Les yeux cloués sur le paysage
On cherche des formes, d’autres lignes
Qui dérangeraient l’horizontale
Il y en a plein
Des mares, des troupeaux
Des boeufs, des chèvres, des chameaux
Un berger qui marche dans le vent
Des crêtes de rochers noirs
Des tentes, un campement nomade
Tout près il y a des scarabées, des fourmis
Des lézards, un chacal, un hibou
Puis plus rien
Tout disparaît dans le travelling avant


Je me sens léger
Les escales, le parcours, les attentes
Le mouvement
Détachent une à une mes amarres
De tout un tas de convictions
J’en avais un bon paquet en ligne de mire
Et tour à tour elles s’effritaient
Avec le souffle abrasif de la route qui avance
Je ne pense plus qu’à cette route centrifugeuse
Qui me pousse lentement au dehors 
En même temps qu’elle me met
Petit à petit dans mon centre
Elle devient ma propre intention
Je n’ai plus de but, plus de fin
Sauf de poursuivre et suivre ce chemin


En douce dans mes veines circule le souvenir
Des moments passés au Burkina, au Mali
Au Maroc où les routes étaient les mêmes
Les moments sucrés, les millésimes
De neuf mois de baroud
En terre africaine


Elle met dans tous les sens
Le sens des choses
Change mes angles de vue
Transforme mes évidences
Elle renvoie poliment mes certitudes
Et stéréotypes
A l’envoyeur occidental
Très moderne mais un peu catégorique


Elle est belle cette ligne qui fait le pont
Si je pouvais
Je lui prendrais son continuel, sa distance
Sa liberté de déplacement
Pour relier les hasards, les occasions
Les rencontres, les idéaux
Si je pouvais, je garderais
Sa façon de tracer des courbe : sa détermination
De prendre tout le temps : son acharnement
Je prendrais sa façon
De se perdre dans l’horizon : se remettre en question
De colporter les voyageurs : son côté itinérant
Je prendrais sa manière
De suivre les creux et les bosses, son côté tolérant
D’être dans le monde et la vie
En reliant d’une ligne
Les choses
Les lieux
Et les gens.

























Agadez – Niger, le 15 novembre 2004










Mots-clés

Aire géo-culturelle: Afrique de l’Ouest
Catégorie d’acteur: Voyageur
Traversées - http://www.traversees.org
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