Une page de politique sénégalaise avec Thierno Birahim NDAO

Pour notre premier contact avec un doyen de la politique séngalaise, nous ne serons pas déçus. Au pied de la Place de l’Indépendance, non loin des bureaux de la Gouvernance, dans la maison des élus locaux, c’est bien à l’élite du pays que nous avons à faire. Coquetterie de l’élitisme, la secrétaire qui nous accueille porte un nom des plus évocateurs : Madame Top.



Je suis heureux de vous accueillir ici dans la maison des élus locaux du Sénégal. Cette demeure a été réhabilitée grâce à la coopération française. J’en suis l’administrateur. Chaque Président des groupements des maires du Sénégal (3 présidents actuellement) a un bureau ici pour dialoguer avec les bailleurs de fonds, avec les organismes extérieurs. On a mis aussi en place une cellule d’appui aux élus locaux. C’est un projet qui a été appuyé par le Canada, c’est un travail en partenariat. L’idée, c’est d’échanger sur les politiques publiques, sur les pratiques, les méthodes, la gouvernance en comparant nos systèmes, les avancées des uns et des autres. On s’est engagé avec eux sur un financement de 5 années qui nous permet de bien démarrer avec un gros appui au démarrage et ensuite d’année en année le financement baisse. On appelle ça le « matching ». Au bout du programme, on doit être capable de s’auto-gérer, à nous de trouver les solutions pour trouver les moyens de fonctionnement adéquats.

Vous êtes un homme politique de longue date, impliqué au niveau local et national. Nous sommes novices au Sénégal, alors pouvez-vous nous parler de votre pays ?

Pour moi, il y a eu la pré-indépendance et l’après indépendance. Léopold Sédar Senghor est de loin l’homme politique qui a le plus marqué le renouveau politique du Sénégal après l’indépendance. C’était un homme de lettre remarquable et un esprit éclairer. Au moment des négociations autour de l’indépendance, Senghor avait prôné l’idée de faire une confédération des anciennes colonies de l’Afrique Occidentale Française. Mais le dirigeant ivoirien Houphouët-Boigny s’y est opposé, ce qui n’a finalement jamais vu le jour. Pourtant Senghor avait raison, c’est plus ou moins ce que l’on essaie de promouvoir aujourd’hui avec le développement d’accords commerciaux, de libre échange, de circulation des personnes au sein des membres de la CDAO. De tout temps au fil de l’histoire des liens se sont créés entre individus de pays frontaliers, les mariages par exemple dépassaient bien souvent les frontières et étaient pour beaucoup l’occasion d’étendre l’importance territoriale de la famille. Et puis, il y a eu aussi les guerres de France qui ont fait appel au fameux régiment de tirailleurs sénégalais, régiment particulier qui intégrait des soldats de tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Cela a aussi contribué au développement d’un esprit de fraternité solide entre les pays d’Afrique de l’Ouest.

Nous nous considérons au peloton de tête de la démocratie par rapport aux autres pays de l’Afrique de l’Ouest, même s’il nous faut, à nous aussi, réfléchir aux pratiques de gouvernance, de bonne gouvernance de notre pays. L’accession à l’indépendance s’est passée sans heurt, les successions de présidents se sont bien déroulées. Nous avons ici une presse indépendante, la liberté d’expression est respectée, beaucoup plus qu’ailleurs, notamment chez nos voisins Gambiens actuellement. Vous savez, ici, certaines pratiques ancestrales nous disent que l’on ne doit pas se faire de mal, ne pas s’entretuer et cela nous a permis je crois d’éviter beaucoup de problèmes, finalement gérer correctement devant des situations délicates.

Nous sommes aussi un des rares pays où dans un cimetière, le cimetière de Ziguinchor en Casamance, où vous pouvez croiser des tombeaux musulmans et chrétiens. Dans une même famille, vous pouvez avoir une moitié catholique et une moitié musulmane. Ce qui nous vaut d’être le pays, dans lequel il y a le plus de fêtes religieuses.


Maintenant, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?

Je suis magistrat de formation et administrateur civil. Je suis aussi passé par l’Ecole normale Merlau-Ponty : on y formait les cadres qui devaient prendre en main l’entrée dans l’indépendance du Sénégal. Du temps des colonies françaises, de l’Afrique Occidentale Française, j’ai été magistrat en Côte d’Ivoire, au Soudan, au Mali et au Niger. Et je suis revenu au Sénégal juste avant l’indépendance. J’ai donc participé au processus de changement et de passage de l’Etat colonialiste à l’indépendance. Plus tard, je me suis retrouvé à la tête de la douane. Je les ai armés, militarisés, je suis allé en Espagne pour trouver et acheter des vedettes insubmersibles et nous avons par la suite mis en place un système de communication pour relier les postes de douanes du territoire. A la suite de quoi, Léopold Sédar Senghor a voulu que je développe la loterie nationale inspiré de ce qui se faisait en France. Je suis allé en France et j’ai créé le loto. En France le créateur du loto était un ancien Préfet. Il m’a proposé de m’envoyer des techniciens qualifiés si je les prenais en charge ici au Sénégal. Vous voyez, il y a toujours eu de la fraternité avec nos cousins français. Dans la foulée, j’ai fait l’étude du PMU actuel. Encore une fois basé sur le système français. Mais je ne l’ai pas mis en place.

J’ai été également dans ce que l’on a appelé le commandement territorial. Pendant 25 années, j’ai assuré les fonctions de Gouverneur de Région. Pendant 15 ans, j’ai aussi assuré les fonctions de Maire de Kaffrine au centre du bassin arachidien. Aujourd’hui, je suis toujours au Conseil municipal de la ville. J’ai aussi été pendant de nombreuses années membre du Conseil économique et social de notre Région.


Un Conseil économique existe aussi au niveau national, je crois ?

Quand Abdoulaye Wade a été élu, en 2000, il s’est senti dans l’obligation de remercier ceux qui l’avaient soutenu depuis de nombreuses années. Il a donc décidé de supprimer le Sénat et de constituer à la place un Conseil économique et social. La loi est votée, il ne manque plus que le décret pour la mettre en application et surtout décider de ses membres. Un quart doit être désigné par le Président, un autre quart représentant les forces vives de la nation (les acteurs économiques et sociaux, responsables de grandes entreprises, représentants des pêcheurs, des agriculteurs) et le reste sera élu au sein des collectivités locales. Ce n’est pas une mauvaise idée, ce Conseil pourra être porteur d’une certaines intelligence et d’une technicité qui devraient pouvoir aider les décisions de l’Assemblée nationale. Les députés présents à l’Assemblée sont élus démocratiquement. La loi précise que chaque sujet de débat à l’Assemblée sera envoyé au Conseil économique et social pour avis, remarques et propositions de modifications.

Dans les Conseils régionaux, nous disposons depuis longtemps de Conseils économiques et sociaux composés des représentants des collectivités locales (maires) et les représentants des secteurs d’activités économiques. Ce comité examine les propositions que le Président du Conseil régional leur fait et a un droit de regard sur les budgets de la collectivité. Ce seront les mêmes pouvoirs qui seront attribués au Conseil qui sera adjacent à l’Assemblée nationale. Il existe aussi ce que l’on nomme le Conseil de la République qui dispose d’un droit de saisine sur certains problèmes épineux comme récemment sur le projet de pont Sénégambien pour le contournement du pays : aujourd’hui la Casamance reste séparée du reste du pays par le passage obligé par bac du fleuve Gambie ce qui ralenti considérablement les échanges et le développement de la Casamance, ce qui n’aide pas à sa pacification. Un problème important pour le pays.


Vous parlez des Conseils régionaux, mais comment s’organise exactement la décentralisation ? Quels sont les compétences et le rôle des Conseils régionaux ?

Les conseils régionaux ont l’initiative pour l’aménagement du territoire, le développement de la vie économique, sociale et culturelle de leur territoire. La décentralisation leur a accordée ces compétences. Seulement, c’est en terme de moyens que le bas blesse : une telle innovation politique dans notre pays implique inévitablement que les Conseils régionaux puissent être à la hauteur des responsabilités qu’on leur attribue. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Il y a un fond de concourt de l’Etat aux conseils régionaux et une ligne de soutien pour le sport et l’éducation. Mais tout cela ne suffit pas à tout régler, loin de là. D’où l’ouverture massive à la coopération internationale décentralisée, présente partout sur notre territoire. L’Etat amène un courant d’investisseurs avec des programmes couvrant le territoire et les Régions contractualisent directement en local avec les ONG qui a leur tour vont essayer de s’appuyer sur les moyens disponibles sur place, en local. ENDA-Tiers monde est de loin l’ONG la plus importante ici Mais cette situation ne pourra pas durer. Ca pose le problème du développement de notre pays qui ne dépend, majoritairement, que des fonds extérieurs que l’on veut bien nous alouer. Ce n’est pas viable sur le long terme pour une nation qui cherche sa voie.


Comment ressentez vous l’avenir du Sénégal dans l’ère de la mondialisation ?

Nous vivons à l’heure actuelle ce que j’appelle la transformation du monde. Les nations ne se suffisent plus à elles-mêmes. Il faut faire en sorte que les échanges puissent se produire. Pour cela, nous cherchons à étendre notre culture aux nouvelles technologies, améliorer les pratiques de la démocratie c’est à dire de la bonne gouvernance, gérer le bien commun de façon claire, acceptable et comptable devant le citoyen. Par le peuple, pour le peuple et devant le peuple, je crois que ce doit être le leitmotiv de tout pays démocratique. C’est ce qui nous a amené à nous lancer dans la politique de décentralisation. Cela va dans le sens du rapprochement des exécutifs locaux vers la population.

Par ailleurs, il y a eu récemment la création de l’Union des cités unies et des pouvoirs locaux créé en 1996 à l’occasion de la rencontre mondiale Habitat II. Africités, c’est également une rencontre bi-annuelle de toutes les villes d’Afrique. Tout ces rencontres ont un même but : échanger des idées et des pratiques.




Pour en savoir plus :
- le site web de Africités
- le site web de la Cellule d’appui aux élus locaux




Dakar - Sénégal, le 8.05.04.



Traversées - http://www.traversees.org
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